Pierre Lapointe sortira son nouvel album « La science du coeur » le 6 octobre et nous l’avons rencontré chez Sony Music pour en savoir plus sur cet opus très réussi.
JustMusic.fr : Tu es très connu au Canada donc peux-tu te présenter et me parler de ton parcours pour le public français ?
Pierre Lapointe : Je viens du milieu du théâtre et de l’art contemporain. J’ai toujours fait de la musique et j’ai commencé par écrire des chansons pour le plaisir. J’ai été happé par la chanson un peu malgré moi et j’ai réussi au fil des années à me positionner dans un espace assez étrange. J’ai été coach dans « The Voice » pendant 3 saisons et j’ai aussi été porte-parole pour le pavillon du musée national des beaux-arts du Québec. Je me balade entre ces deux univers en espérant détruire les frontières entre les médias de masse et les médias un peu plus contemporains et avant-gardistes. Je fais de la chanson dans la pure tradition francophone et je porte en moi un héritage qui vient de Jacques Brel, Léo Ferré ou encore Barbara. Je suis un personnage entre deux eaux et ça me plait beaucoup (sourire).
JustMusic.fr : L’album a été enregistré à Montréal alors pourquoi l’as-tu fait mixer en France ?
Pierre Lapointe : La pré-pro a été faite en France parce que j’ai écrit l’album entre Paris et Montréal. Le disque est né d’un désir de travailler avec un réalisateur français qui est David François Moreau. Il a travaillé énormément dans la musique classique et contemporaine, il a écrit pour plusieurs chorégraphes dont Thomas Lebrun, et il a également travaillé pour des grosses productions pour des musiques de film. Lorsque je l’ai rencontré, j’ai eu un énorme coup de foudre et il était la bonne personne pour m’accompagner à faire cet album qui est la rencontre entre la musique classique contemporaine (comme Steve Reich) et la chanson traditionnelle française. David était lui aussi très heureux de travailler avec moi car c’était une façon de s’initier à la musique québécoise. C’était un rêve pour moi de faire un album qui est à mi-chemin entre deux continents. Quand il a fallu faire le mixage, nous avons cherché des personnes qui avaient une culture pop et finalement en écoutant le résultat, je trouve qu’on a plus fait une sorte de musique de film. On a respecté cet esprit chansonnier tout en faisant exploser les arrangements symphoniques et orchestraux. J’avais besoin de cette expertise française pour ce travail.
JustMusic.fr : Peux-tu revenir sur les orchestrations ?
Pierre Lapointe : On a enregistré 30 cordes d’un coup, et on a écrit des partitions séparées qu’on a superposées à la fin. Sur certaines pièces, il y a pratiquement 100 cordes qui jouent. C’est un album qu’on a monté pièce par pièce, car d’un point de vue technique, certaines étaient très dures à jouer. On a travaillé par section, puis on a fait de la superposition.
JustMusic.fr : Comment as-tu trouvé les sujets des différents titres ?
Pierre Lapointe : La première pièce qu’on a travaillé est « La science du coeur » et c’était l’élément de base, de départ. Je me suis concentré sur la forme au fur et à mesure qu’on avançait sur le projet. C’est allé très rapidement, les chansons se sont écrites en même pas 2 mois. A force de travailler sur tout ça, j’ai vu qu’il y avait un lien avec « La science du coeur », toutes les chansons parlaient pratiquement d’amour. Ce premier extrait résume tout ce qu’il se passe sur le disque. Par moment, j’ai essayé de sortir de la forme comme par exemple dans « Alphabet » et « Naoshima ». Mais le lien entre les chansons est très fort par rapport aux arrangements, à l’ambiance… C’est un album assez homogène.
JustMusic.fr : Peux-tu me présenter le nouvel extrait « Sais-tu vraiment qui tu es » ?
Pierre Lapointe : C’est une réflexion que je me suis faite sur le monde contemporain. C’est surtout un regard sur le pouvoir de l’image, je parle de « Big Brother », de « 1984 », des images qui deviennent notre linceul. Je parle aussi du pouvoir et du manque de connaissances par rapport à notre propre histoire en tant qu’individu, de notre identité de membre d’une société et habitant une planète. Je pense que c’est une critique très gentille de ce qu’on vit en ce moment avec la proximité qu’Internet nous apporte et en même temps, l’aliénation que ça nous inflige par rapport à cette surenchère que tout le monde à en s’auto-félicitant en faisant constamment le récit de sa vie pratiquement heure par heure.
JustMusic.fr : On lit dans le livret que : « Ce disque a été conçu pour être écouté sans interruption ». Tu l’as voulu ou tu t’en es rendu compte à la fin ?
Pierre Lapointe : Le type d’écriture que j’ai décidé d’aborder et également l’approche par rapport aux arrangements s’y prêtent. C’est un peu dépassé aujourd’hui de faire des albums qui se réclament de la pop et de la chanson avec ces arrangements-là. Ça se faisait plus dans les années 60/70. Mettre autant de mots, aller si loin dans la description des images, être si pointu… pour moi c’est très généreux mais ça demande une certaine forme d’exigence. C’était important de proposer aux gens d’écouter l’album du début à la fin. On a quand même fait une courbe pour que l’écoute soit agréable. Au départ, je voulais commencer l’album avec « La science du coeur » et le terminer avec « Un coeur ». Au final, j’ai trouvé que c’était un peu agressif donc on a mis « Une lettre » pour venir caresser gentiment l’auditeur. Je pense que la puissance de chacune des chansons est maximisée par ce qu’il y a avant et après. Je trouve qu’il faut l’écouter sans avoir la tête dans les réseaux sociaux, pour justement amener les gens à se questionner sur le manque d’attention qu’on a tous.
JustMusic.fr : Ta nouvelle tournée commencera le 3 novembre et tu seras à Paris à la Cigale le 13 février 2018. Que penses-tu du public français ?
Pierre Lapointe : J’adore venir en France pour faire des shows et on me demande souvent si je fais le même spectacle chez moi et ici. C’est toujours le même, je fais juste quelques adaptations concernant des expressions québécoises car sinon le public ne comprendrait pas (sourire). J’ai l’avantage et le bonheur depuis 12 ans de faire des allers retours, donc c’est un peu ma deuxième maison. J’arrive même à me promener dans quelques rues parisiennes sans GPS (rires). J’ai fini par comprendre le fonctionnement de cette ville car pour un Nord-Américain, ça peut paraître très agressif et très agressant. Mais une fois qu’on a compris l’énergie et qu’on s’en amuse, ça devient agréable. Pour moi, il n’y a pas de grande différence entre les deux publics, mais en France quand ils viennent, ils me connaissent bien, ce sont des initiés.
JustMusic.fr : As-tu des rituels avant de monter sur scène ?
Pierre Lapointe : Je n’ai aucun rituels dans ma vie car pour moi, c’est une façon de détourner notre attention du vrai problème (sourire). Je suis du genre à jouer avec mon stress au lieu de perdre mon énergie à essayer de l’oublier avec quelque chose. Je trouve aussi que si on a des rituels et qu’on arrête de les faire, cela peut nous déstabiliser.
JustMusic.fr : Tu as travaillé pour Calogero pour le titre « La bourgeoisie des sensations » sur l’album « L’embellie ». Vas-tu retravailler avec d’autres artistes de chez nous ?
Pierre Lapointe : J’ai travaillé sur un projet avec Albin de la Simone qui est un très bon ami. Il y en a d’autres qui sont en développement donc je ne peux pas encore en parler. Je côtoie une famille d’artistes que j’aime beaucoup grâce à lui et je me sens très proche d’eux. J’ai eu la chance de rencontrer Vincent Delerm, Mathieu Chedid, Camélia Jordana… Et en contrepartie, j’ai présenté des artistes de chez moi à Albin de la Simone. C’est une grande famille intercontinentale avec des liens forts qui se sont créés entre nous.
JustMusic.fr : Que peux-tu ajouter pour donner envie au public d’écouter ton nouvel album qui sortira le 6 octobre et de venir te voir sur scène ?
Pierre Lapointe : Quand on connaît ma carrière depuis le début, on peut voir qu’il y a une grande évolution qui s’est faite au fil du temps. Je pense que me suivre devient une expérience intéressante car les gens ne sont pas toujours interpellés par tout ce que je fais. Je pense que cet album est l’aboutissement d’une démarche de 15 ans. Certains étaient transitoires mais avec celui-ci, je suis arrivé quelque part et je commence à maîtriser cette démarche qui a commencé depuis tout ce temps.
Généralement, les gens se rappellent de mes spectacles car j’essaie de ne pas être niais pour ne pas que les gens s’embêtent (sourire). Quant à l’album, on a mis en avant l’idée de la beauté durant toute sa conception. Je ne pense pas qu’il soit à la mode mais il se détache des tendances actuelles en essayant de chercher un son qui va vers l’avenir, mais qui est puisé du passé. Si les gens sont curieux, je fais beaucoup de références dans les chansons donc ils pourront faire des recherches. L’auditeur pourra s’amuser à comprendre mon chant lexical et mon univers visuel qui représentent l’évolution artistique que j’ai travaillée depuis toutes ces années (sourire).
Retrouvez Pierre Lapointe sur Facebook et sur Twitter.