INTERVIEW : Rencontre avec Simia

Simia c’est une plume, une sincérité, un regard « Spécial » sur des sujets complexes comme la mort et l’amour. D’un atelier d’écriture à son premier projet, l’artiste nous explique son parcours et sa vision de la musique. Ecouté son premier EP est le meilleur moyen de le découvrir, lui et sa dualité. Focus.

JustMusic.fr : Peux-tu te présenter, évoquer ton parcours? Tu arrives assez tard dans la musique…

Simia : J’ai découvert le rap tardivement c’est vrai, je ne suis pas un passionné depuis tout petit mais j’ai toujours fait de la musique. J’ai toujours gravité autour, notamment en faisant de la batterie et en jouant dans quelques groupes de rock à l’adolescence. Rien de très sérieux à l’époque. Jeune, j’étais plus porté cinéma, théâtre, j’aimais jouer la comédie. L’écriture est arrivée par hasard, post bac, alors que je n’étais toujours pas branché rap et que même au niveau des cours, tout ce qui concernait l’écriture (français, philosophie…) ne me touchait pas. J’allais en cours pour faire des blagues ! (rires) J’étais un élève normal, j’ai eu le bac parce que c’est une étape obligatoire dans notre société.

JustMusic.fr : Et tes premiers pas dans l’écriture alors ?

Simia : Mon premier texte était horrible, il faut l’avouer. Il n’y avait pas une rime qui allait avec l’autre, aucun sens. Mais j’ai aimé, j’ai pris du plaisir à le faire. Suite à cela je l’ai fait écouter à une pote qui participait à un atelier d’écriture avec Gaël Faye et Edgar Sekloka, qui faisait partie du groupe Milk Coffee & Sugar.
Elle m’a fait écouter leurs morceaux alors que je ne m’intéressais toujours pas vraiment au rap mais sincèrement, j’ai pris une grosse claque avec leur album. Suite à cela, ma pote m’a motivé et j’ai participé à cet atelier d’écriture. Tout est parti de là. J’y suis allé tous les mercredis à partir de là.

JustMusic.fr : Ta première scène « improvisée » a été également une motivation supplémentaire ?

Simia : C’était fou ce moment ! Gaël Faye m’a fait monter sur scène au bout de deux mois d’atelier, juste en me disant de préparer un freestyle. En plein concert, au milieu de Dany Dan, Leeroy, Beat Assailant et Les Sages Poètes de la Rue, il m’a appelé et je suis monté sur scène pour faire mon freestyle. Je n’étais pas du tout dans les temps mais ça m’a mis dans le bain. Quelques temps après, j’ai découvert une vidéo de mon freestyle et j’ai vu que le public avait suivi ma prestation, que les gens avaient adhérés. C’est ce lien avec le public, cette relation que j’ai découverte qui m’a motivé.

JustMusic.fr : Ta carrière artistique a commencé outre-Atlantique, du côté de Montréal, c’est bien cela ?

Simia : En fait, je suis parti à Montréal pour mes études, je suis resté deux ans là-bas. J’écrivais beaucoup mais ça a pris un tournant plus musical. On enregistrait des sons tous les jours dans la chambre de mes potes, qui avaient fabriqué un studio. L’une de nos potes, Ségolène, s’est improvisée manager et on a commencé à faire quelques concerts. Finalement, pour la moitié, ce sont des mecs que l’on retrouve sur mon projet : Yaska qui a fait l’enregistrement, une partie du mix et trois prods. Et Quiet Mic lui a fait deux prods.

JustMusic.fr : Jusqu’à ton retour à Paris ?

Simia : Quand je suis revenu sur Paris, après mes études, et je me suis vite rendu compte que Paris ce n’était pas Montréal. À Montréal, tout va plus vite, c’est petit, il y a une communauté française hyper disponible donc on jouait facilement devant cinquante ou soixante personnes. C’est là où a commencé une période un peu bizarre pour moi, où je me suis fait quitter par ma meuf, j’avais fini mes études, je ne savais pas trop quoi faire. C’est grâce à une pote que c’est reparti, elle m’a parlé du Buzz Booster (tremplin rap). Je me suis inscrit par pur hasard et j’ai franchi les étapes pour gagner à Paris, à la Bellevilloise. J’ai rencontré beaucoup de professionnels, dont Almada ma manageuse depuis deux ans maintenant. Je me suis professionnalisé, je me suis dit qu’il fallait que je tente l’aventure. Je suis diplômé depuis deux mois, ça fait plaisir à ma mère (sourire) et au moins, j’ai été au bout des choses ! La musique ce n’est pas sûr donc j’ai fini mes études pour avoir un bagage. Mais je suis resté entre deux eaux pendant un petit moment, il fallait que je clôture le dossier « étude » pour me consacrer à la musique.

JustMusic.fr : Dans tout ce parcours, avec toutes ces rencontres, pourquoi ne retrouve-t-on pas plus d’invités sur ton projet ?

Simia : Il n’y a pas Gaël parce que ça fait un petit moment que l’on ne s’est pas croisés. En plus, j’ai changé de style et lui s’est confirmé dans un autre. On se soutient de loin mais je n’allais pas aller le chercher juste pour l’avoir. On a d’ailleurs un moreau ensemble qui n’est jamais sorti. J’avais plus envie de cibler les gens très très proches d’où le featuring avec Yaska & Sheldon, les deux ingénieurs du son du projet, les deux gros producteurs. Yaska était sur Montréal en même temps que moi, on a beaucoup partagé et il est rentré à Paris plus ou moins à la même période. Tout s’est fait simplement.

JustMusic.fr : Pourquoi ce nom « Spécial » pour ton EP ?

Simia : Il ne devait pas s’appelé comme ça au début. Au moment où j’ai commencé mon projet, j’ai réorienté mon style, mes textes sont devenus plus personnel, j’ai lâché l’egotrip. Le premier morceau que j’ai écrit, c’est « Moteur », la track numéro une de l’EP.
Au bout de trois ou quatre morceaux est venu « Spécial » et je me suis rendu compte que ça sonnait bien avec ce que je voulais mettre en avant de moi.
Ce n’est pas « spécial » dans le sens différent, ou mieux, c’est juste que je me suis rendu compte que je me suis retrouvé dans plein d’identités différentes dans ma vie. Par exemple être dans le rap et avoir fait des études, c’est bizarre. Au départ tu ne sais pas quels thèmes abordés. Pareil pour mes relations amoureuses, j’ai eu une longue relation qui s’est finie bizarrement… Le mot spécial ici c’est vraiment ce qui te rend unique, le parcours de chacun, le chemin de vie personnel. J’avais pensé à unique mais c’est moche. Si tu te dis que tu es spécial c’est aussi que tu t’acceptes comme tu es. Je me suis ouvert sur ce projet.

JustMusic.fr : Si on parle de tes influences ?

Simia : Ce dont je parlais toute à l’heure, ma distance avec le rap c’était à l’âge de 18 ans, j’ai refait mon retard depuis : Oxmo Puccino, Rocé, qu’on ne connait pas assez d’ailleurs et tous les classiques d’IAM, Lino…
Depuis j’ai évolué sur des projets plus contemporains comme Nekfeu par exemple. En termes de plume, de flow et de vision artistique c’est incontournable pour moi.
Mais attention quand je parle d’influences ce n’est pas dans le sens ou je vais le copier, faire du Nekfeu. J’avoue quand même que depuis que je rappe officiellement je réécoute beaucoup les sons que j’écoutais ado : Artic Monkeys, Nirvanna… C’est notamment pour cela qu’on entend beaucoup de guitares dans l’EP, j’ai voulu mêler le rap à mes influences rock & folk. Comme Post Malone peut le faire au niveau US. Je trouve que c’est important d’aller puiser ailleurs pour la créativité, même dans des styles que je n’aime pas particulièrement comme le jazz.

JustMusic.fr : Pour reprendre le nom du premier titre, quel est ton « moteur » justement ? Tes motivations ?

Simia : « Moteur » a une histoire particulière. C’était au moment où j’étais un peu perdu dans ma vie, ce que j’expliquais précédemment. Un soir, j’étais avec ma meilleure amie, qui m’accompagne comme DJ maintenant, qui m’a dit un soir à minuit alors qu’on était posé dans ma voiture : « j’ai la flemme de rester à Paris, j’ai envie de voir la mer ». On a pris des grosses couvertures et on est partis. On s’est posés une heure sur la plage, on avait besoin de respirer. Je suis rentré chez moi au petit matin, j’ai croisé mon père qui partait travailler. Je n’ai pas réussi à dormir, j’ai retrouvé une prod sur mon PC et j’ai écrit le morceau dans la foulée. L’après-midi, j’ai enregistré la maquette et je l’ai faite écouter à ma pote de la veille. J’ai eu le déclic quand elle m’a dit que ça sonnait grave. Ce morceau a donné le fil conducteur de tout le projet.

JustMusic.fr : Le deuxième morceau s’appelle « Point mort ». Juste après avoir allumé le moteur, démarrer l’EP, tu fais un constat sombre sur la jeunesse actuelle, sur ton âge « les ados m’appelle monsieur »… C’est un morceau pour poser le décor, les bases du projet ?

Simia : Il faut avoir en tête que « Point mort » a été écrit dans la foulée de « Moteur ». Quand j’ai écrit ce titre, je n’ai pas pensé au lien entre les deux morceaux, je ne l’ai pas cherché. C’est une phase dans le morceau où j’ai compris, où j’ai vu le lien. Dans mon projet, il y a deux dimensions de ma musique : un côté très positif, espoir et un autre plus sombre. « Point mort », c’est l’alter ego de « Moteur », toujours entre deux énergies, deux émotions.

JustMusic.fr : D’où te vient la référence à Ian Curtis du groupe Joy Division ?

Simia : Je suis un fanatique du groupe Joy Division ! C’est mon père qui m’a initié à ce style avec les Cure. C’était l’époque où je faisais du skate et où je jouais de la batterie. J’ai laissé ce pan musical de côté pendant pas mal de temps avant d’y revenir, il y a un an ou deux.
J’ai vu le film « Control » sur Ian Curtis, le chanteur de Joy Division et j’ai littéralement pété un câble sur ce film. L’histoire du mec est folle, il s’est pendu dans sa cuisine à 23 ans en pleine gloire. C’est totalement dingue ! Je ne suis pas de nature triste mais j’ai compris, ça m’a touché. D’ailleurs, j’ai dû expliquer à ma mère que tout allait bien, la rassurer par rapport au texte, à ce que je dis. Ian Curtis, c’est un symbole dans la dualité des sentiments. Pour moi, Ian Curtis, c’est ce que Tupac est au rap dans la symbolique.

JustMusic.fr : Dans tes deux titres « Elle fait la tête » et « 100 fois », tu dis que les femmes sont compliquées et qu’elles ne savent pas ce qu’elles veulent en fait ? Que la vie d’un couple, c’est compliqué?

Simia : En ce qui concerne ces deux morceaux, c’était plus compliqué pour elle que pour moi. Dans le sens où moi je voulais être en couple avec elle, j’assumais d’avoir envie de me poser, au contraire des textes dans le rap en général. Des fois, tu te dis que ça va être simple mais au final, ça se complique rapidement… Encore une fois, ce sont des morceaux qui sont liés, qui se répondent, il y a un lien dans la thématique et dans la manière de traiter le sujet. Au départ, l’un des deux ne devait pas être sur le projet mais après l’avoir envoyé à la fille en question, elle a écouté et elle m’a dit : « c’est un beau morceau ». Il n’est pas facile ce titre pour moi, notamment à faire en live. Comme je traine beaucoup avec des filles, j’ai la chance d’être au clair avec mes sentiments, j’assume et j’en parle. Comme une thérapie.

JustMusic.fr : Peut-on dire que ton morceau « Rouge pâle » est le plus triste du projet ?

Simia : Globalement, on peut voir pas mal de références à la mort dans ce projet mais c’est une façon de voir les choses, de traiter le sujet. Je me suis projeté, je me suis dépassé, je me suis posé la question à savoir : est-ce que c’est possible de tout rater dans sa vie ? Ne jamais y arriver ? Et les étoiles, ce n’est pas forcément un rapport à la mort, il y a plusieurs lectures en fait.

JustMusic.fr : Dans cet EP, tu parles d’amour et de la difficulté de la vie en général. Tu cultives, tu cherches ce style sombre, « dark rap » ?

Simia : Il doit y avoir le coté rock où les artistes dans ce style parlent plus facilement des sujets lourds, complexe. Et franchement, il n’y a rien de plus inspirant que la tristesse, que la mélancolie. Si tu écoutes l’album d’un gars qui raconte que tout va bien pour lui tout le long de son projet, tu te fais vite c#### en vrai… Comme tout le monde, quand je me retrouve solo, je peux avoir des remises en question, un questionnement sur ma vie, sur ce qui me fait flipper. Il y a énormément de choses positives aussi, c’est un équilibre entre la mélancolie et l’espoir.
Ce n’est pas un projet de dépressif, j’évoque des sujets de manière sincère, tout simplement. Je reflète la vie comme elle est, je ne connais personne dans mon entourage qui n’a jamais eu de galère ou qui n’a pas connu la tristesse.

JustMusic.fr : On retrouve cet équilibre, ta dualité dans « Peur d’être seul ».
C’est ce que tu cherchais ?

Simia : Justement, je ne pense pas que ce soit un morceau triste mais il est cru et toujours dans cette dualité. Le but c’est de se dépasser mais ça fait peur. Être heureux en amour, c’est le but mais ça fait peur. C’est la thématique « spécial » de mon EP. C’est le point de ralliement entre deux sentiments où chacun met son curseur. Ce qui fait que je suis spécia, c’est ma sensibilité, d’avoir des influences rock, mon parcours… Pour une autre personne, ce sera d’autres caractéristiques, on est tous spéciaux, uniques.

JustMusic.fr : Pour conclure, tu rappes dans le single « Ian Curtis » : « Je vois la tristesse comme un cadeau, l’amour comme un fléau ». C’est la phase qui reflète le mieux tes facettes sombres & sincères, non ?

Simia : Quand je dis que la tristesse est un cadeau, c’est aussi parce que la tristesse peut te permettre de repartir, d’aller de l’avant. L’amour comme un fléau car ça peut être aussi vu comme un défi. Pour la rime, j’ai gardé fléau, ça sonne mieux. Ce n’est pas une catastrophe, il n’y a pas le côté fataliste dans le mot fléau. C’est toute l’idée du projet. Savoir jouer de ses émotions et savoir les gérer.

JustMusic.fr : Tu attends quoi de ce premier projet ?

Simia : Le but à long terme, c’est de percer et d’en vivre. C’est le but de tous les artistes au final. J’étais et je suis encore à 500% dans ce projet ; il y a beaucoup de fatigue et de questionnements l’air de rien. Ce n’est pas un travail comme un autre, ce n’est pas un business, c’est un art. Réussir à marquer les gens, partager quelque chose avec le public. Donc j’attends la scène avec impatience, tout comme les premiers retours. Mon but, c’est de toucher les gens comme j’ai pu être touché par certains morceaux, certains artistes.

JustMusic.fr : Si on parle futur proche ?

Simia : Oui, il y a des concerts de prévus où on va jouer pour la première fois certains morceaux. Le 21 novembre, c’est la release party de l’EP, au 1999 rue Saint Maur à Paris, où on a prévu un gros show. Concert gratuit avec plein d’invités où il faut juste réserver par mail. Lecteurs de JustMusic.fr vous êtes les bienvenus !

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Fabien BRIET