INTERVIEW : Rencontre avec Lord Esperanza

Nous avons eu un immense coup de cœur pour « Phoenix », le nouvel album de Lord Esperanza. Il a répondu à toutes nos questions avec sincérité et générosité.

JustMusic.fr : Tu as rencontré le succès dès tes débuts avec tes différentes sorties. Peux-tu me faire un bilan de tout ça ? Comment as-tu vécu ce succès ?

Lord Esperanza : Étonnamment, je ne parlerais pas de succès – même si j’ai la chance d’en vivre et que c’est ma passion – mais je pense que mes idoles et mes objectifs sont assez hauts. Donc, je suis content de ce que j’ai, je suis très connecté à la gratitude et au moment présent. Mais comme beaucoup d’artistes, je suis fasciné par les sphères qui sont plus hautes comme Stromae qui est une référence. Pour l’instant, j’ai du mal à ne pas me projeter et même si je suis content de mes premiers projets, mon nouvel album « Phoenix » est celui pour lequel j’ai le plus travaillé. J’ai vraiment pris trois ans de pause, ce qui est très long, mais ça m’a donné envie de réussir au mieux cette sortie.

JustMusic.fr : En effet, ton nouvel album « Phoenix » sortira prochainement. Pour tes précédents projets tu avais travaillé avec Majeur Mineur, cette fois c’était avec Nino Vella de Rouquine. Pourquoi ce changement et comment est née cette collaboration ?

Lord Esperanza : J’avais besoin de nouveauté, de recréer des nouveaux cercles artistiques. Je pense que tous les artistes, à un moment ou un autre, sont un peu challengés dans leur zone de confort. J’avais l’impression de tourner en rond, de raconter toujours les mêmes choses, de toujours faire les mêmes mélodies ou encore les mêmes fins de phrases. J’ai rencontré Nino lors d’un séminaire organisé par Universal où on a fait le titre « Le fil » pour Patrick Bruel, une chanson qui parle du lien entre un père et son fils. C’était un vrai coup de cœur humain et artistique, on a très vite refait d’autres morceaux et c’est devenu une évidence qu’il allait travailler sur tout mon album.

JustMusic.fr : Ce n’était pas trop difficile de collaborer avec une nouvelle personne ?

Lord Esperanza : Ça m’a fait du bien, même si je suis toujours en très bon terme avec Majeur Mineur. J’avais besoin de faire mes preuves à moi-même et à quelqu’un en studio, de me réinventer et essayer de sortir des choses meilleures. Il n’y a rien de mieux pour ça que d’être avec des gens que tu connais moins, de t’entourer de nouveauté. Cela ne veut pas dire que je ne travaillerai plus jamais avec Majeur Mineur, mais sur cet album j’avais envie de quelque chose de plus orchestral, de plus épique, chose qui a été possible grâce au travail avec Nino car il a une formation de chef d’orchestre. Je voulais sortir de ce côté rap pour faire des sons plus ouverts, plus profonds, à l’image du titre « Caméléon ».

JustMusic.fr : On dit qu’un caméléon renaît toujours de ses cendres. A la sortie de « Caméléon » tu as parlé sur Instagram de longues années d’attente et de frustration. Pourquoi l’as-tu appelé comme ça ? Que s’est-il passé ?

Lord Esperanza : Parce que je suis encore en développement, même si je suis assez installé pour en vivre mais pas suffisant pour remplir des grandes salles. J’avais besoin de faire cette pause pour trouver en moi, les ressources pour faire de meilleures chansons, plus universelles et plus mélodieuses. A mon stade, peu d’artistes partent aussi longtemps, mais je l’ai fait de manière naturelle. Je pensais que ça allait durer un an, mais j’étais en studio, il y a eu la Covid et un enchaînement de facteurs. Finalement ça m’a fait du bien de me concentrer sur mes chansons et cette volonté de me renouveler.

JustMusic.fr : Quelles sont les frustrations que tu évoques ?

Lord Esperanza : La frustration est d’être tout seul en studio et de ne pas pouvoir faire écouter ses chansons. J’avais fait plus de 200 concerts en trois ans et j’avais un lien très direct avec les gens. D’un coup, je me suis retrouvé tout seul en studio sans pouvoir partager. J’étais confronté à Internet en voyant que les autres continuaient à sortir des choses, alors que moi je ne faisais rien. Je suis moins allé sur les réseaux pour rester concentré sur la création et ne pas être parasité par les avis extérieurs. Tout ça crée de la frustration car il y a beaucoup de moments d’attente et d’impatience avant de pouvoir partager ta musique avec les autres.

JustMusic.fr : Tu t’es inspiré de plusieurs films et livres alors comment sont nées tes nouvelles chansons ? De quoi as-tu voulu parler ?

Lord Esperanza : C’est un peu divers et varié dans les thématiques évoquées, mais c’est l’album le plus vulnérable et le plus sincère que j’ai pu faire. Je parle de ma maman, de l’hypersensibilité, du manque de confiance en soi, des maladies mentales, des addictions… Il y a beaucoup de sujets plus intimes et personnels que je n’avais jamais évoqués avant. C’était important pour moi de parler de tout ça. Je pense que c’est un travail qui devait se faire sur la longueur et par le temps, car c’est difficile de réussir à tout sortir de soi en une fois. Quand tu es face à la feuille, il y a l’angoisse du vide, de la page blanche, et réussir à synthétiser des émotions qui sont là depuis longtemps est souvent très difficile. Je pense à la chanson sur ma maman, c’est dur de résumer une relation avec sa mère en 3 minutes 30. J’ai pris du temps pour savoir ce que je voulais raconter afin de ne garder que l’essence et la substance vive de ce que j’estimais être le plus important, et laisser de côté tout le superflu et tous les détails dont on n’a pas besoin finalement.

JustMusic.fr : Peux-tu me présenter les deux premiers extraits qui sont déjà sortis ?

Lord Esperanza : « Caméléon » est un hommage à mon oncle qui est mort de ses addictions et ça m’a beaucoup travaillé quand j’étais jeune car j’ai un peu assister à sa descente aux enfers dans la drogue. Je ne suis pas allé loin dans l’addiction, mais comme j’ai beaucoup fumé de joints, ça m’a fait réfléchir aux rapports qu’on avait avec ça. L’addiction ce n’est pas que la drogue, mais ce sont tous les subterfuges qu’on trouve pour combler le vide existentiel pour essayer de se remplir. C’était important pour moi de l’évoquer.

« Les ombres », le premier extrait parle des maladies mentales car ce même oncle était schizophrène et bipolaire. Ce sont des sujets assez peu évoqués dans la musique, mais ça commence à changer car les artistes sont très challengés et assujettis à des ascenseurs émotionnels. Je voulais en parler pour démystifier un peu tout ça.

JustMusic.fr : Tu montres également l’étendue de ta voix en prouvant que tu es aussi chanteur. Comptes-tu t’éloigner du rap ?

Lord Esperanza : Oui, je pense de manière un peu inconsciente que j’avais besoin de faire des chansons plus larges, plus universelles. Quand tu regardes mes anciens titres, ceux qui sont restés sont « Drapeau noir », « Maria »… des chansons qui finalement ne sont pas très rap. J’avais déjà touché un peu à ça du bout des doigts, et même si je continuerai à faire du rap de manière sporadique, ce n’est pas ce qui m’anime le plus. Dans le rap il y a des mecs très forts et qui le font très bien, donc à un moment tu es un peu limité, alors qu’en chanson même s’il y a encore des teintes de rap, il y a plus de possibilités mélodiques et d’arrangements qui sont plus riches. J’ai toujours aimé le rap, mais ça a toujours été une porte d’entrée et non une fin en soi.

JustMusic.fr : je t’ai vu en concert à la Cigale et à la Scala lors de ton showcase pour présenter « Phoenix » en avant-première. Que ce soit dans une grande salle ou une petite salle, tu es une véritable bête de scène. Tu n’étais qu’accompagné au piano par Nino et pourtant il y avait une ambiance de folie. Quels souvenirs gardes-tu de ce showcase ?

Lord Esperanza : Merci (sourire) ! C’était particulier car les gens ne connaissaient pas les chansons et c’était un exercice très intéressant mais aussi différent de ce que je connaissais. Ça m’a donné envie d’en faire d’autres et d’ailleurs nous allons faire une mini-tournée piano/voix autour de l’album. L’avantage de ce format est de mettre les chansons au centre sans subterfuges et artifices. J’ai apprécié ça et ça permet de se concentrer sur l’essentiel.

JustMusic.fr : C’est ce que tu nous réserves pour la Maroquinerie le 12 mai prochain ?

Lord Esperanza : Il y aura aussi des instrus et des bandes de l’album, mais je vais mélanger les deux. En tout cas tu es invité pour découvrir tout ça (sourire).

JustMusic.fr : Tes clips sont toujours très bien réalisés et ton jeu d’acteur est très réussi. Souhaites-tu faire du cinéma ?

Lord Esperanza : Oui beaucoup, j’ai une agente et j’ai déjà passé des castings. J’aime bien incarner des choses que je ne suis pas au quotidien et de réussir à concentrer toute mon énergie pour mettre en avant un sujet, notamment les maladies mentales dans « Les ombres ». C’est quelque chose qui sort de mon domaine d’expertise, c’est très différent de la musique et en même temps ça se rejoint. C’est un challenge et des nouvelles possibilités d’expressions artistiques qui sont riches et qui sont autres.

JustMusic.fr : Quels rôles aimerais-tu interpréter ?

Lord Esperanza : C’est une bonne question (sourire). Idéalement, des rôles différents de ce que je peux être, des gens vulnérables sur des sujets de société ou de politique. Hier soir je suis allé au cinéma et j’ai vu le film « Tár » avec Cate Blanchett où elle interprète une cheffe d’orchestre. J’ai pris une claque énorme et j’aimerais bien aller vers des rôles de constitution comme celui-là. Je ne sais pas si j’aurais le talent pour le faire, donc il faudra que je prenne des cours (sourire). Pour l’instant, les castings que j’ai passé se sont bien déroulés car je me suis bien amusé vu que ça n’a aucun rapport avec ce que je fais au quotidien. L’avantage avec nos métiers c’est qu’on peut vagabonder entre différents univers, et c’est très agréable (sourire).

JustMusic.fr : Que ressens-tu aujourd’hui en écoutant ton album ?

Lord Esperanza : De la fierté pour la première fois car c’est vraiment mon album le plus abouti. Il y a plusieurs couleurs et en même temps j’ai essayé de lui donner de la cohérence, comme un voyage qui vient accompagner l’auditeur. J’ai vraiment hâte d’avoir le retour des gens car j’ai mis beaucoup de coeur et d’amour dans cet album.

JustMusic.fr : Est-ce qu’on peut dire que c’était une sorte de thérapie ?

Lord Esperanza : C’est sûr que j’ai évoqué des sujets dont je n’avais jamais parlé auparavant. Donc par essence, comme je te le disais tout à l’heure c’était difficile de trouver les bons mots. Le format musical est bien et limitant car tu as peu de place pour tout raconter. C’était un exercice en effet de thérapie, dans le sens où il a fallu que je réussisse à trouver l’essentiel de ce que j’avais envie de raconter, et en même temps de trouver la forme avec des phrases percutantes. Au cinéma on va parler d’images fortes, et une punchline c’est un peu ça car en rap ou en chanson, c’est une phrase qui va rester pour accompagner l’auditeur et qui va pouvoir vivre en l’autre. C’est poétique car tu vas l’écrire d’une certaine manière avec un certain sens en tête, et l’auditeur va le recevoir différemment. C’est la magie des mots qui permet ça, c’est une source infinie de possibilités, et c’est ça qui est le plus séduisant.

JustMusic.fr : As-tu reçu des retours des personnes dont tu parles ?

Lord Esperanza : Ma maman a pleuré donc j’imagine que c’est un retour inespéré. Si j’ai réussi à la toucher c’est que je suis allé au bon endroit. Les gens dont je parle et les thématiques que j’évoque pour les gens qui les ont vécues, la plupart se sont retrouvés. Avec la sortie de « Caméléon » j’ai vu qu’il y avait un lien fort qui se crée avec le public. Je propose et les gens disposent, je ne suis pas tributaire de comment ils vont le recevoir. Je sens que je suis compris donc je suis content. Avant j’évoquais tellement de sujets dans le même morceau, que je pense que certains ont pu se perdre. Cette fois j’ai trouvé un sujet et je n’ai plus bougé, je me suis inspiré de Stromae, Eddy de Pretto ou encore Jacques Brel. Des artistes qui ont réussi à quantifier une seule thématique et qui sont parvenus à la tirer sur trois minutes plutôt que de partir dans tous les sens.

JustMusic.fr : Et qu’en pensent tes fans de la première heure ?

Lord Esperanza : Je suis agréablement surpris car « Camaléon » est très différent de ce que j’ai pu proposer dans le passé, et je sens qu’un nouveau public est en train de se créer car ce n’est plus vraiment du rap. Je ne pensais pas que les gens allaient me suivre, même s’il y a des points cohérents et des points communs avec d’anciens morceaux. Les premiers retours sont très bons, je suis content et c’est une chance de pouvoir en parler en interview avec des gens comme toi (sourire).

JustMusic.fr : Pour finir, peux-tu me donner trois mots pour définir ton nouvel album « Phoenix » ?

Lord Esperanza : Je dirais épique, sincère et hybride. En tout cas, on a beaucoup travaillé donc on verra comment le public va l’accueillir (sourire).

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