INTERVIEW : Rencontre avec Cascadeur

Cascadeur est de retour avec un très bel album intitulé « Revenant ». L’artiste masqué a répondu à toutes nos questions avec une grande générosité.

JustMusic.fr : Qu’est-ce qui différencie le Alexandre Longo de tous les jours de l’artiste Cascadeur quand il met son casque ?

Cascadeur : Ça change pas mal de choses. J’ai commencé à porter ce casque en 2006. C’est devenu non plus un avatar, mais mon vrai visage. Dans mon rapport aux autres, il me libère de mes inhibitions. Avec le temps, une coexistence s’est établie et je ne sais plus vraiment si je suis Alexandre ou Cascadeur. C’est assez complexe pour mon équilibre personnel. Au début, j’ai tout nourri seul. C’était un besoin vital pour moi de ne pas m’exposer et de travailler sous une forme d’invisibilité.

JustMusic.fr : Tu as, depuis tes débuts il y a plus de 10 ans, une carrière bien remplie. Quel est selon toi le secret pour durer dans l’industrie musicale ?

Cascadeur : Quand j’ai commencé, j’appelais des salles pour jouer, puis progressivement j’ai commencé à partir de 2008-2009 à sentir que quelque chose se passait. L’idée du temps et de la durée dans une activité est ce qu’il y a de plus dur à mon sens. Faire un coup à la Warhol c’est réalisable mais par contre, faire un saut long en vol plané c’est compliqué. Après il y a toujours l’idée du comeback, du revenant, ce que tu ne peux pas toujours maîtriser. J’ai préféré commencer l’album avec la partie d’ombre, puis essayer de tout scénariser et faire une suite romanesque. « J’ai traversé la nuit » est la première phrase de l’album. J’ai traversé comme tout le monde des apparitions et des disparitions. C’est finalement une aventure très humaine, malgré mon apparence presque de créature. Il y a cette chose qui est perméable, faite de chair et d’humanité.

JustMusic.fr : Tu as remporté une Victoire de la Musique en 2015 pour ton album « Ghost surfer ». Qu’est-ce que ça fait d’être reconnu par ses pairs ?

Cascadeur : Ça m’a beaucoup touché. On était trois artistes et il y avait David Guetta. Malgré nos différents parcours, il y avait une forme de connivence. Lors de la soirée on communiquait essentiellement par signes – car j’avais mon casque – et il m’était du coup devenu plutôt sympathique car je ne le connaissais pas. Ensuite avoir le suffrage des professionnels était étonnant car je partais battu. Il était aussi rassurant de se dire qu’il est possible d’évoluer avec plus de hauteur tout en échappant à la pression des projecteurs. Mais finalement cette victoire était plutôt troublante. Tout d’un coup j’ai eu mon certificat de qualité, ce qui m’a évidemment touché. Mais en même temps, cela me renvoyait à une forme de distance, notamment symbolique, avec les figures plus publiques et éclairées.

JustMusic.fr : Où as-tu mis la Victoire ?

Cascadeur : Elle est dans mon studio, elle est noyée parmi toutes mes figurines et les cendres de mon chat. Quand je bosse elle est derrière moi donc il faut le savoir. Je ne pense pas être plus prétentieux maintenant (sourire). Au contraire, ça m’a fait encore plus prendre conscience de nos fragilités. J’en suis content car c’était une surprise et je ne m’y attendais pas (sourire) !

JustMusic.fr : Qu’est-ce que tu as essayé de faire ressentir aux auditeurs avec « Revenant » ? Quel est l’effet recherché ?

Cascadeur : J’avais fait un triptyque pour les 3 albums précédents et j’avais soif d’évoluer, de muer. Il fallait que quelque chose s’enclenche à travers par exemple le développement de la lumière, le fait de chanter cette fois-ci en français et donc d’assumer cette dualité. C’était une prise de risque car cela faisait plus de 10 ans que je chantais en anglais et il a fallu donc aussi faire tout un travail de fidélité.

JustMusic.fr : Qu’est-ce que chanter en français t’a apporté en comparaison avec l’anglais ?

Cascadeur : Je poursuivais mon dévoilement et se mettre à chanter dans la langue de mes proches, ça change les choses. Maintenant mes parents comprennent beaucoup mieux ma musique. Finalement cette métamorphose a été salutaire. Il y avait un désir d’aller ailleurs tout en restant fidèle, comme une forme de glissement en recherche de nouveauté.

JustMusic.fr : C’est une musique très harmonieuse. Comment arrives-tu à obtenir un son si juste ?

Cascadeur : C’est lié à mon histoire personnelle. J’ai commencé par du piano classique, ça m’a donné des bases de référence technique. Après, ado, j’avais envie de jouer ce que j’écoutais. Je jouais avec mes copains mais j’étais paumé parce que je n’avais finalement que cette culture classique et très académique. Tout d’un coup je ne savais plus improviser, travailler avec l’oreille. J’étais très démuni puis petit à petit j’ai appris. Je me suis intéressé au jazz. J’ai été initié à la musique lyrique par mon éducation, ce qui m’a inspiré à me forcer à chanter comme une femme. Je me torturais. Avec mon nouvel album, j’ai essayé d’évoluer et de faire ressentir une forme de maturation.

JustMusic.fr : Tu avais l’habitude d’évoluer sans label ni manager. Tu es aujourd’hui signé chez « Decca Records ». Qu’est-ce qui a changé ?

Cascadeur : On m’a toujours laissé très indépendant et j’ai toujours été très heureux de cela.
Mais c’est sûr que le fait d’avoir maintenant plus de structure et d’encadrement, m’a permis de toucher plus de gens que si j’avais continué à travailler seul chez moi (sourire).

JustMusic.fr : Comment se sont passées les retrouvailles avec ton public lors de ton showcase à la Fnac de Bercy ?

Cascadeur : Je me suis senti humain, c’était super. J’ai vécu des moments forts mais aussi parfois un peu inquiétants. C’était la première fois que je portais mon nouveau casque officiellement et c’est horrible de jouer avec (sourire). Je vais devoir le moduler à nouveau car il est lourd et un peu trop gros. J’ai mis volontairement en place un système qui me handicape. J’avais envie de me transcender. Du coup, sur scène, je suis presque aveugle et sourd et samedi j’ai retrouvé cette sensation de porter une carapace.

JustMusic.fr : Comment abordes-tu la suite ?

Cascadeur : Cascadeur déteint sur moi. C’est quelqu’un qui veut surtout rester en vie, qui veut durer. Ce n’est pas un casse-cou bien que je l’aie été enfant. Faire un disque ce n’est qu’une petite partie. C’est aussi tout ce qui est autour qui importe : les visuels, les vêtements, les instruments utilisés. C’est global et ça demande beaucoup de préparation, de la même manière qu’un athlète.

JustMusic.fr : Est-ce qu’on peut s’attendre à d’autres actus de ta part ?

Cascadeur : La tournée commence fin avril et je serai à la Cigale le 9 juin. Autrement, je fais pas mal de musique à l’image. Je suis en train d’en terminer une pour un documentaire de Michel Guéret qui passera au cinéma. J’ai aussi fait de la musique pour des documentaires autour de l’architecture qui s’étendront sur plusieurs saisons. J’espère refaire des musiques de films, j’ai un projet en cours avec une réalisatrice berlinoise. Je travaille aussi autour de projets de lecture musicale et de théâtre. Je suis toujours très actif et ça me nourrit. J’espère juste que maintenant les choses se déclencheront rapidement (sourire).

Retrouvez Cascadeur sur Facebook, Twitter et Instagram.

Paul CORRADINO