Avec son premier EP « Aprile », la jeune artiste dévoile un univers à la fois solaire, intime et profondément engagé. Entre féminisme, résilience et mélodies poétiques, elle se présente au monde avec sincérité et puissance.
JustMusic.fr : Ton premier EP est disponible depuis le 21 novembre 2025. Comment le décrirais-tu ?
Aprile : Je décrirais mon premier EP comme un tableau très contrasté où ombre et lumière se côtoient. Il contient les premières chansons que j’ai écrites et dont je suis fière. J’ai beaucoup de tendresse pour ce projet qui retranscrit des parties importantes de mon univers. À la fois ode au soleil et au rêve d’amour, manifeste féministe, engagé contre les violences sexuelles et journal intime où j’exprime mes peines, ce premier EP est ma présentation au monde en tant qu’artiste. C’est la raison pour laquelle il s’intitule « Aprile ». Me voici.
JustMusic.fr : Tu parles de reconstruction, de courage et de renaissance : qu’est-ce qui a nourri cette thématique ?
Aprile : Mon désespoir face à la situation de beaucoup trop de femmes dans mon entourage, que je vois se démener tous les jours pour avancer. J’ai été appelée à écrire pour elles. Et pour ceux qui en ont besoin. Pour se reconstruire après avoir subi des violences.
JustMusic.fr : Quelle a été la partie la plus difficile dans la création de ce projet ? Et la plus libératrice ?
Aprile : Les chansons de cet EP contiennent les premières que j’ai jamais écrites. La partie la plus difficile a été de faire confiance à ces premières créations pour me présenter au monde en tant qu’artiste. J’ai toujours chanté dans ma vie, mais des chansons, j’en écris seulement depuis très récemment. Les laisser partir, les faire écouter, les laisser exister en dehors de moi-même était loin d’être évident.
Je doutais de tout, tout le temps, sur n’importe quel aspect du projet. Le doute est extrêmement présent dans ma vie depuis toujours. Mais j’ai la chance d’être entourée par des personnes qui me guident. Et comme me dit souvent mon père : « choisir, c’est renoncer ».
L’indécision est une facette importante de ma manière d’être. Si je devais me donner un conseil, ce serait de lâcher prise, enfin.
La partie la plus libératrice fut certainement de constater que je suis capable de plus que ce que j’espérais. Je n’ai jamais oublié est une chanson que j’ai écrite entièrement seule, et c’est la dernière de l’EP à avoir été couchée sur le papier. C’est un des moments où j’ai senti cette fierté de comprendre que j’ai des intuitions, des envies, des choses à dire, à chanter, et que je suis capable d’y arriver.
J’étais terrifiée à l’idée de ne pas être à la hauteur. Que mes mots ne suffisent pas, que je ne sache pas écrire ou composer. La seule chose dont j’étais à peu près sûre, c’est que je sais chanter… plus ou moins. Ça aussi, ça dépend, et ça fait partie de mes doutes.
Cet EP est un soulagement : savoir que je suis capable.
JustMusic.fr : « Je n’ai jamais oublié » est une chanson manifeste très forte. Comment s’est passé son processus d’écriture ?
Aprile : Elle est née alors que je jouais des accords très simples sur mon piano. Très vite, cette phrase et la mélodie du refrain me sont venues : « Je n’ai jamais oublié ce que tu m’as fait ». Je me suis posé la question de ce que cette phrase signifiait pour moi, et j’ai réalisé qu’elle ne résonnait pas avec mon propre vécu, pas à ce degré-là. Elle venait d’ailleurs.
Cette phrase était plus grande que moi. L’évidence que la chanson parlerait des violences sexuelles m’est apparue immédiatement. Trop de personnes dans ma vie en ont été victimes et en ont été marquées à vie.
Ça a été compliqué de poursuivre l’écriture, car je voulais être certaine que mes mots soient justes.
C’était aussi la première fois que j’écrivais une chanson qui ne parlait pas de moi, qui n’était pas destinée à moi. Une chanson pour les autres.
Le point de vue m’a longtemps questionnée, mais j’ai fini par écrire au « je », parce que je voulais que la chanson soit universelle. Qu’elle puisse appartenir à ceux qui en ont besoin.
Après un extrait posté sur les réseaux, j’ai reçu des messages de personnes très différentes s’identifiant au texte. Il était évident que genrer ce titre n’avait pas de sens.
J’ai lu de nombreux témoignages, beaucoup écouté mes amies, regardé des interviews de survivantes et survivants pour trouver les mots justes. Je voulais que ce morceau donne de l’espoir, qu’il permette d’y déposer ses émotions.
J’ai utilisé l’image du phœnix pour parler de la force des survivantes et des survivants.
JustMusic.fr : As-tu hésité avant de sortir publiquement un titre aussi intime et engagé ?
Aprile : On a beaucoup hésité sur la forme, mais puisqu’il ne s’agissait pas de mon intimité, la question ne se posait pas là. En revanche, je me suis demandé si j’avais les épaules pour porter une chanson qui dénonce un sujet si grave.
Mais une fois la chanson écrite, et au vu des centaines de commentaires montrant l’attente autour d’elle, il m’était impossible de la garder pour moi. Trop de personnes comptaient sur moi. Et puisque cette chanson n’a jamais vraiment été « à moi », la question de la sortir ne s’est pas posée très longtemps.
JustMusic.fr : « Prince Déconstruit » mêle féminisme, amour et pop disco. Qu’as-tu voulu raconter ?
Aprile : Je parle vraiment de moi à travers ce conte imagé. J’ai grandi entourée de remarques sur ma manière d’être, mon physique. On me reprochait d’être « too much », parfois pas assez féminine, parfois trop grande gueule, parfois intimidante — toujours trop quelque chose pour plaire aux garçons.
Ça m’a complexée, puis profondément agacée.
J’ai longtemps tenté de me diminuer, me rendre plus petite, plus discrète, plus en détresse pour sembler plus désirable.
Je veux que mes sœurs sachent que la féminité n’a rien à voir avec la faiblesse ni avec le rôle de « demoiselle en détresse ».
J’ai rencontré trop peu d’hommes capables d’admirer la puissance des femmes. Une femme qui exprime son plein potentiel, qui ne s’excuse pas d’exister, ça bouleverse le système, non ?
Cette chanson est à la fois une célébration de la puissance féminine, un conte d’amour non conventionnel et une critique de la manière dont sont enseignées la masculinité et la féminité.
JustMusic.fr : « Trop d’amour à donner » est une balade bossa nova très délicate. D’où vient cette influence ?
Aprile : Elle vient d’une guitare que Davy Portela m’avait envoyée à l’époque. À force de l’écouter et d’écrire dessus, une douceur mélancolique s’est installée dans mes mots, et le sujet s’est imposé : l’ennui de l’amour, l’attente d’une romance qui ne vient pas.
Pour moi, la bossa nova, c’est ça : une Saudade douce, nostalgique, mais pleine d’espoir.
JustMusic.fr : « Miel de ma vie » respire la lumière : l’as-tu écrit dans un moment de joie ?
Aprile : J’ai écrit « Miel de ma vie » en plein mois de novembre, dans un moment de désespoir ultime où je rêvais de plonger mes orteils dans le sable brûlant des plages de Corse. Je frottais parfois du Monoï sur mes mains et dans mon cou pour me rappeler la chaleur de l’été. C’était mon petit réconfort.
Cette chanson est née d’un fantasme pur alors que je travaillais sur mon projet d’architecture, frustrée de ne pas pouvoir chanter autant que je le voulais, tout en subissant ma dépression saisonnière.
JustMusic.fr : Sur « Journal intime », tu abordes santé mentale et solitude. Comment as-tu trouvé les mots justes sans tomber dans le pathos ?
Aprile : J’ai co-écrit cette chanson avec Vincent Jacob, avec qui j’ai écrit la majeure partie de l’EP — mes toutes premières compositions en français.
Je voulais parler de la solitude qui m’habitait à ce moment-là, sincèrement, sans détour. C’est une expérience universelle, surtout pour ma génération qui peine à se reconnaître dans quoi que ce soit.
Je ne voulais pas en faire un morceau pour « danser sur son spleen », mais une expérience vivante, entre flegme, frustration et passion.
L’écriture a été assez spontanée. On s’est surtout concentrés sur la structure, pour faire voyager l’auditeur dans différentes ambiances, différentes « salles » émotionnelles.
JustMusic.fr : Le clip de « Journal intime » ressemble à un poème visuel. Peux-tu m’en parler ?
Aprile : Au début, je ne savais pas du tout quelle image renvoyer ou comment scénariser le titre. Céline Ganay, la réalisatrice, m’a aidée à clarifier mes intentions.
On avait d’abord imaginé des plans généraux dans la nature, puis est venue l’envie de mettre en scène l’essence du titre : extérioriser ses émotions à travers un médium — ici, la peinture.
Tout au long du clip, je traîne un sac qui s’alourdit jusqu’au craquage. Les émotions enfouies explosent, puis laissent place au calme après la tempête.
On a tourné près de Veules-les-Roses, en un week-end de juin, avec une toute petite équipe. Il y a eu beaucoup d’imprévus, beaucoup de doutes. Mais on a réussi. Et on est fiers du résultat.
JustMusic.fr : Tu évoques des influences allant de Barbara à Billie Eilish. Comment nourrissent-elles ton identité musicale ?
Aprile : Je suis française et francophone : pour moi, une belle chanson passe par un beau texte. C’est de là que viennent mes références françaises.
Mais j’ai aussi grandi avec la pop américaine, très axée sur la mélodie, le groove, le vocalisme.
J’aimerais trouver un équilibre entre texte, mélodie et production. Mélanger les genres, expérimenter, m’inspirer de ceux qui innovent, tout en restant fidèle à mon attachement pour les mots.
JustMusic.fr : As-tu une « philosophie » de l’écriture ?
Aprile : Pas vraiment. J’essaie de me laisser porter par mes inspirations. Je suis une jeune artiste, je me découvre encore : ma voix, mon son, mes envies.
J’écris des choses très différentes en ce moment, des textes métaphoriques que peut-être seule je comprends, et d’autres plus universels.
Je me laisse l’espace de me surprendre, de laisser mon conscient et mon inconscient dialoguer.
JustMusic.fr : Qu’est-ce qu’une « bonne chanson » pour toi ?
Aprile : Sincèrement, aucune idée. Quand je ressens l’étincelle, je ne sais jamais exactement d’où elle vient. Je suis encore loin du moment où j’aurai la prétention de définir ce qui fait une bonne chanson.
JustMusic.fr : Comment travailles-tu en studio ? Instinctive ou perfectionniste ?
Aprile : J’ai encore fait très peu de studio. J’ai travaillé avec Hugo Rivart sur tout l’EP. J’arrive avec quelques références sonores, une ambiance en tête, une démo piano-voix.
Puis en un week-end, on coud, on file, on compose, on discute.
Mais quand vient l’enregistrement des voix… je suis un vrai casse-pieds. Tout doit être parfait. J’ai déjà chanté quatre heures d’affilée pour obtenir une seule prise qui me convienne.
Je veux être exigeante, surtout pour un premier projet.
JustMusic.fr : As-tu une routine d’écriture ou des rituels ?
Aprile : Je n’ai pas vraiment de routine, et je ne suis pas certaine d’en vouloir une. J’aime me surprendre : écrire sur mon piano, dans le métro, partout.
Généralement, paroles et mélodies naissent ensemble, avec des accords que je boucle pendant que des mots arrivent.
Je m’enregistre constamment sur mon dictaphone — sinon j’oublie absolument tout.
J’écris parfois plusieurs chansons en même temps, en déplaçant des couplets, des refrains.
Pour l’instant, je travaille avec mon piano, ma voix, mon dictaphone et mes notes. J’aimerais explorer d’autres manières de créer… même si je me demande si ce n’est pas justement ça, ma « pâte ».
JustMusic.fr : Quel souvenir marquant gardes-tu de la création de l’EP ?
Aprile : L’enregistrement de « Je n’ai jamais oublié ».
Les premières prises étaient très belles techniquement, mais on m’a dit : « Ce n’est pas une chanson qui doit être chantée beau. Tu es le réceptacle de toutes ces voix, tu dois chanter avec tes tripes. »
J’ai respiré, on a relancé la piste, et j’ai craqué pendant le refrain.
Après une pause thé-miel, j’ai tout enregistré en une seule prise, du début à la fin, sans aucune coupe.
On a gardé cette émotion brute.
C’est mon souvenir le plus marquant.
JustMusic.fr : Comment imagines-tu ton univers sur scène ?
Aprile : Je suis encore en train de me rencontrer sur scène. Je veux l’habiter, donner, créer des étoiles dans les yeux des gens. C’est peut-être prétentieux, mais c’est mon objectif, même si tout cela reste encore flou.
JustMusic.fr : Souhaites-tu collaborer avec d’autres artistes ?
Aprile : Oui, plusieurs. J’écoute beaucoup Lonepsi en ce moment, j’aimerais écrire avec lui.
J’admire Naïka : son univers, son flow, sa voix.
Luidji et Aupinard aussi, dont la vision et le mélange des genres me touchent.
Nilusi, dont la musicalité me bouleverse.
Et Solann, grande révélation pour moi cette année.
JustMusic.fr : Quelle émotion aimerais-tu que les gens retiennent en écoutant ton EP ?
Aprile : Les titres sont très différents. J’aimerais faire rêver, bercer, faire danser. Redonner confiance, permettre d’extérioriser la solitude, la peine, la souffrance.
Les prendre dans mes bras avec ma musique et leur dire que tout finit par aller mieux.
JustMusic.fr : Qu’espères-tu déclencher chez les auditeurs vivant des moments difficiles ?
Aprile : J’espère les soulager, même brièvement. Qu’ils se sentent compris, acceptés, soutenus.
Qu’ils soient fiers d’eux : ils font de leur mieux.
Que rien n’est de leur faute. Qu’il n’y a aucune honte à souffrir.
Et surtout : chacun s’appartient. Peu importe qui a fait du mal.
Un pas après l’autre, c’est déjà beaucoup.
JustMusic.fr : Pour finir, que peux-tu ajouter pour donner envie au public de découvrir ton EP ?
Aprile : Si vous aimez la pop et que vous voulez être embarqués dans un univers poétique, engagé, tantôt solaire tantôt lunaire, qui donne de l’espoir dans les moments où on en a besoin… si vous voulez danser sur votre spleen ou sur votre été, vous laisser porter par les vagues d’une romance impossible, alors ma musique est pour vous.
Merci à vous.
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