INTERVIEW : Rencontre avec Atef

Atef vient de sortir « Les mot qui unissent », un deuxième album magnifique ! Il a répondu à nos questions avec générosité et beaucoup de sincérité.

JustMusic.fr : Nous nous sommes déjà rencontrés à plusieurs reprises, notamment pour la sortie de ton premier album « Perfect stranger » en 2014. Qu’as-tu fait durant tout ce temps jusqu’à la sortie de ton deuxième album ?

Atef : Mon premier album est sorti en 2014 et j’ai pu le faire grâce à mon contrat en maison de disques chez « Universal ». J’en ai assuré la promotion et donné quelques concerts…
Lors d’une date en première partie de Christophe Maé, j’ai entendu dans le public des personnes me demander un titre en français, puisque mes chansons n’étaient qu’en anglais. Ça m’a fait réfléchir, mais je n’avais pas encore trouvé mon son en français.
Entre la première fois où j’ai chanté en français dans « The Voice » en 2012 et la première chanson que j’ai composée dans cette langue, il s’est passé sept ans. Pendant tout ce temps, j’ai écouté des chansons françaises pour m’imprégner et trouver ma couleur.
Le premier titre s’appelait « Marseille », puis il y en a eu d’autres, et j’ai aussi participé à l’édition All Stars de « The Voice » en 2021.
Durant toute cette période, j’ai continué à travailler, à faire des concerts, tout en apprivoisant le français. La transition s’est faite en douceur (sourire).

JustMusic.fr : En effet, « Les mots qui unissent » est enfin disponible. A quel moment as-tu senti que tu tenais enfin ce deuxième album ?

Atef : Quand j’ai composé le dixième titre (rires) ! À un moment donné, je me suis aperçu que j’en avais beaucoup et que j’avais plein de choses à dire en français. J’ai ajouté deux titres en anglais qui sont importants.
Je ne voulais pas spécialement faire un album : je voulais écrire des chansons et les présenter aux gens.
C’est donc ce que j’ai fait (sourire).

JustMusic.fr : Tu parles de « chanson française humaniste » : comment définirais-tu ce que cela représente pour toi ?

Atef : J’aimais énormément Sting, Peter Gabriel ou Balavoine quand j’étais adolescent — oui, au siècle dernier, comme je le dis souvent en plaisantant. À cette époque, on se mobilisait pour la libération de Mandela, et il a fini par être libéré. On vivait aussi avec la peur d’une troisième guerre mondiale entre les États-Unis et la Russie, des bombes nucléaires… puis le mur de Berlin est tombé.
On a vu quelque chose qu’on croyait immuable, définitivement figé, changer soudainement — et pour le mieux.
C’est dans ce contexte que j’avais l’espoir de faire de la musique comme mes maîtres : Stevie Wonder, par exemple, qui a obtenu la création d’un jour férié aux États-Unis pour célébrer Martin Luther King. Les artistes avaient alors une véritable influence sur le monde.
Je pense que cette époque-là est terminée — du moins pour le moment — mais elle pourrait revenir, car tout change.

JustMusic.fr : Tes influences viennent de nombreux pays et voyages. Comment ces cultures nourrissent-elles ta manière de composer ?

Atef : Certains abordent les cultures étrangères comme on enfile un manteau, puis ils en changent. Moi, je les laisse infuser dans mon sang. Dans ma playlist, on retrouve des artistes comme Oumou Sangaré, Oum Kalthoum, Stevie Wonder, Michael Jackson, les Beatles… Ils deviennent ma culture, et c’est pour cela que je me mets à chanter dans différentes langues.
Je peux chanter dans une dizaine de langues, parce que je m’inspire des différents styles de musique que j’écoute.
Le 5 décembre, je vais d’ailleurs chanter aux côtés, notamment, de Chris Martin et Fatoumata Diawara pour le « Hope power » aux Folies Bergère.

JustMusic.fr : Pourquoi avoir invité Levon Minassian et Louis Bertignac ? Qu’ont-ils apporté à ton album ?

Atef : Levon Minassian joue dans la chanson « Marseille », dans le titre je dis que cette ville est une grande porte ouverte au sud et aussi que c’est le nord d’une nouvelle vie. Il joue d’un instrument millénaire, le doudouk, et il porte en lui toute la culture arménienne. Alors faire une chanson sur Marseille en oubliant l’Orient, l’Afrique ou l’Arménie, je ne pouvais pas l’imaginer. Et l’arrangement du morceau a une couleur un peu cap-verdienne.
J’ai rencontré Louis Bertignac à « The Voice » et je l’adore ! Il avait déjà travaillé avec mon frère mais je l’ai vraiment connu lors de l’émission. Nous sommes devenus amis et j’ai participé à deux de ses albums. Il était donc naturel qu’il participe au mien (sourire).

JustMusic.fr : Tes textes abordent l’exil, l’identité, la transmission, l’amour… Comment trouves-tu l’équilibre entre douceur et lucidité ?

Atef : Le titre « Naïf » que je viens de sortir répond bien à cette question. Dans ce titre, en filigrane, je pose une question : qui est le plus naïf ?
Celui qui croit qu’on peut semer du poison et attendre quelque chose de positif en retour, ou celui qui sème de belles choses sans rien attendre ?
Cette chanson symbolise parfaitement ce que je viens d’exprimer.
J’aime les sagesses, d’où qu’elles viennent, et c’est là qu’il faut aller puiser. On en a besoin : de sagesse, d’utopie, d’espoir…
C’est ce que je dis dans l’autre chanson : « Moi j’y crois ».

JustMusic.fr : Que peux-tu rajouter sur ton dernier single « Naïf » ?

Atef : Je dis dans la chanson que depuis tout petit, on conditionne souvent les enfants à penser « en uniforme », et cela finit par étouffer leurs rêves. On les éduque, bien sûr, mais ils ne nous appartiennent pas : on les accompagne.
Pour moi, l’amour — qu’il soit filial, amical ou amoureux — c’est la joie de voir l’autre s’épanouir.
Avec le recul, je me rends compte que j’ai fait des erreurs. J’ai des enfants, et avec l’éclairage que j’ai aujourd’hui, j’aborderais leur éducation autrement.
On est là pour les guider, pas pour les posséder.

JustMusic.fr : Qu’aimerais-tu que les auditeurs retiennent après avoir écouter « Les mots qui unissent » ?

Atef : On m’a demandé l’autre jour : « Si tu avais un pouvoir magique, qu’est-ce que tu ferais ? »
Et j’ai répondu spontanément quelque chose qui m’est resté : avec un coup de baguette magique, je ferais en sorte que tout le monde se comprenne. Juste ça : se comprendre vraiment.
« Les mots qui unissent », c’est exactement ça. J’essaie de trouver des mots qui permettent aux gens de s’entendre. Alors oui, ça peut sembler naïf ou utopique. D’ailleurs, dans la chanson, je dis : « Je choisis naïf ». Mais c’est presque un oxymore : si on choisit d’être naïf, on ne l’est plus vraiment.
Et pourtant, c’est ce que je revendique. Parce qu’on a besoin d’utopies.
On traverse une période où beaucoup de gens sont dans le cynisme, ne croient plus en rien. Ce n’est pas toute la vérité, heureusement : il y a aussi des choses très positives qui se passent, mais elles ne sont pas mises en lumière comme elles le devraient.
Alors oui, ce serait bien que des artistes — moi ou d’autres — portent ce message-là.

JustMusic.fr : Excepté ton concert du 5 décembre, est-ce qu’il y aura d’autres dates ?

Atef : En ce moment, on travaille sur la tournée. Je me demande encore si je dois commencer par dix jours d’affilée dans une salle parisienne, ou s’il vaut mieux débuter en province et finir à Paris. Je prends tous les conseils possibles sur le sujet, parce que je ne sais pas encore ce qui est le mieux (sourire).
Ce que je sais en revanche, c’est ce que je ressens après mes concerts. Même si je suis mal placé pour en parler — on ne peut pas être devant et derrière la caméra — j’ai l’impression, quand je vois les gens sortir, qu’il se passe quelque chose. Ils s’embrassent, ils se prennent dans les bras, il y a une atmosphère suspendue, douce, presque irréelle.
Parfois, en sortant de scène, j’en ai les larmes aux yeux tant leur état d’après-concert est beau. Ça me touche profondément.

JustMusic.fr : Quels sont tes coups de cœur musicaux du moment ?

Atef : En musique, en ce moment, j’écoute un peu de tout : des nouveautés comme des choses plus anciennes. Par exemple, j’aime beaucoup « Lose control » de Teddy Swims car j’adore ce genre d’artistes qui mélangent les styles. Globalement, c’est ça qui m’attire : ceux qui créent des ponts entre les genres.
J’écoute aussi beaucoup de musique du monde. Et puis je redécouvre des classiques : il y a des artistes dont je connaissais un ou deux albums, mais pas le reste, alors je replonge dedans pour me refaire toute leur discographie.
Il y a aussi des choses complètement intemporelles : je connais tous les albums de Stevie Wonder par cœur, tous ceux de Michael Jackson, des Beatles, ou encore de D’Angelo.
Et j’explore d’autres pays, d’autres scènes musicales, des artistes qu’on ne connaît pas forcément en France, donc c’est difficile de donner des noms.

JustMusic.fr : Et en français ?

Atef : Pomme, Yael Naim, Zaz… Je ne me suis pas encore penché sur Vianney : je ne connais pas vraiment, mais il faudrait, parce qu’il a une très jolie voix et de beaux textes. Il est dans ma to-do list.
Il y a vraiment plein de choses en France aujourd’hui… mais chacun est un peu dans son coin. J’aimerais qu’il y ait davantage d’événements collectifs, des moments qui rassemblent, comme le « Hope power » du 5 décembre, car je m’y sens à ma place dans ce type de concert.

JustMusic.fr : Que peux-tu rajouter pour donner envie au public de découvrir ton deuxième album ?

Atef : J’ai beaucoup parlé du sens, mais il y a aussi les mélodies, les arrangements… L’album est majoritairement en français — sauf deux titres — et même s’il sonne « chanson française », les arrangements, eux, viennent des musiques du monde. On traverse le Mali, le Brésil, l’Inde, le Sénégal, l’Ouganda, le Cap-Vert… et sûrement d’autres encore.
C’est un tour du monde, sans même s’en rendre compte. On se laisse porter tantôt par les mélodies, tantôt par le texte, selon les morceaux.
Il y a aussi deux chansons en anglais qui comptent énormément pour moi.
« So simple », d’abord : c’est l’histoire d’un père qui parle à un nouveau-né, comme si l’enfant comprenait déjà tout. C’est très poétique. Je l’ai écrite avec John Robertson et Michael Edwards, en Angleterre.
Et puis « I can’t breathe », que j’ai écrite entièrement seul. J’ai relu les derniers mots prononcés par George Floyd, j’en ai ajouté quelques-uns, et j’en ai fait une chanson. Elle est très intense, presque violente dans l’émotion — et j’ai choisi un style trap, parce que je ne me mets aucune barrière stylistique.

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