Naë, la nouvelle sensation de la chanson française, a accepté de se livrer à nous à l’occasion de la sortie de son EP « Nombreuse ».
JustMusic.fr : Tu as commencé la musique tôt. À 14 ans tu montais déjà sur scène. Qu’est-ce que tu retiens de cette période? Et comment es-tu parvenue à te forger artistiquement à l’époque ?
Naë : C’était les débuts. J’étais insouciante et je ne me rendais pas du tout compte de l’aspect professionnel de la chose. J’étais une boule de feu et j’avais juste envie de me donner à fond sur scène. Je n’avais pas la maîtrise et je ne me prenais pas la tête.
JustMusic.fr : Tu as des influences variées comme Amy Whinehouse, Erykah Badu ou encore SZA. Qu’est-ce que tu admires de manière générale chez une chanteuse et qui, selon toi, fait sa force ?
Naë : Je pense que c’est l’aura. Avant même qu’il y ait une dimension musicale et artistique, c’est ce que dégage l’artiste en elle-même. J’ai eu la chance de voir Erykah Badu en concert et ça m’a mis une claque ! Elle dégage quelque chose de très fort et mystique qui paraît presque inaccessible. Et en même temps dans le récit, on retrouve des témoignages forts de son vécu et sa place en tant que femme. C’est ce qu’en toute humilité, j’essaie de retranscrire dans ma vie d’artiste.
JustMusic.fr : Tu as fait partie à plusieurs reprises de groupes. Quel est selon toi l’environnement idéal pour évoluer en tant qu’artiste ? Où se trouve le bon équilibre entre travail d’équipe et solo ?
Naë : Le contraste est simple. Quand je suis chez moi avec mon clavier, je suis seule face à moi-même et je peux composer librement sans me projeter. Mes morceaux commencent toujours comme ça. Je suis dans ma chambre, je compose une grille d’accords et je top line dessus. Après, j’ai la chance de pouvoir partager ces mélodies avec des producteurs musicaux autour de moi qui sont aussi des amis dans la vie. Ensuite, j’oriente plus ou moins la direction musicale et je peux alors terminer avec d’autres personnes le morceau. J’ai eu l’occasion de faire des morceaux toute seule, mais j’aime aussi partager des moments en studio. Selon moi, l’un ne va pas sans l’autre.
JustMusic.fr : Tu partages sur les réseaux beaucoup de vidéos de toi face à ton clavier dans ta chambre. Quelle liberté cela te procure-t-il de partager ces compositions homemade ?
Naë : Il y a une volonté de lâcher prise et d’être en accord avec moi-même. Je me force à restreindre le laps de temps entre le moment où je vais tourner la vidéo et celui où je vais la sortir. Cela m’oblige à la sortir de manière très instinctive. Je peux de cette manière garder une forme d‘humilité et un rapport d’acceptation de moi-même. Se dire que t’es pas maquillée, que t’es en pyjama et que tu peux balancer ça sur les réseaux, me permet d’avoir un rapport avec le public plus brut et frontal. Là où un produit fini en studio cache un envers du décor avec tout un travail sur les détails, sur la traitement et la base. Tout est réfléchi. C’est tout autant intéressant. J’adore rester travailler en studio sur un même morceau. Là encore, il y a une question de dualité. J’ai besoin de sortir comme ça quelque chose de très instinctif et de m’octroyer cette liberté, puis parfois j’ai plus envie de travailler et de peaufiner la chose.
JustMusic.fr : Ton EP « Nombreuse » est disponible depuis une semaine après plusieurs singles. Comment s’est passé son élaboration ? Et à quel moment tu t’es dit qu’il était temps de le sortir ?
Naë : J’ai déjà sorti un EP mais il a été enlevé des plateformes. À Bordeaux avec mon groupe on avait créé un label. Je sortais du lycée et grâce à lui, j’ai pu autoproduire un EP de 6 titres écrits à l’époque en anglais. Ça m’a appris tout le process de production d’une musique de A à Z ce qui m’a fortement aidée pour produire celui-ci. Le moment où je me suis dit que j’étais prête à dévoiler « Nombreuse » résulte de presque deux ans d’écriture, de composition et de rencontres artistiques où je me suis cherchée musicalement, notamment en passant de l’anglais au français. J’avais cette peur que la diversité de mes influences rende mon projet incohérent, ce qui est d’ailleurs un peu le cas pour certains morceaux – « Dans le parc » et « Deal » par exemple. Mais globalement ces deux ans m’ont permis de faire maturer le projet. J’ai pu après avoir sélectionné une trentaine de morceaux, en choisir huit pour lesquels j’avais l’impression que les propos me parlaient encore et restaient actuels. Il y a aussi tout le travail de mixage derrière. Il était temps après tout ça que je sorte le projet là, maintenant.
JustMusic.fr : La réflexion autour de l’album s’est-elle faite de manière spontanée ou plus de façon préméditée ?
Naë : Très honnêtement je ne me suis pas du tout projetée. C’était flippant parce que j’ai tendance à toujours vouloir avoir le contrôle et là ce n’était pas le cas pas du tout. Certes j’étais très travailleuse et assidue dans mes sessions studio en particulier avec le Covid. Mais je ne me suis jamais projetée au-delà juste du son et de la musique. Et c’est mieux, parce que les idées qui viennent derrière et la manière dont tu veux habiller ton projet sont beaucoup plus instinctives. Il y a quelque chose de presque juvénile qui pousse à te dépasser et à véritablement assumer un projet. Tu le sors et ce n’est pas grave si demain tu changes complètement de trajectoire. On est tous en perpétuelle mutation et il n’y a pas de fin en soi. En tout cas, je pense que j’ai commencé à penser la DA il y a environ six mois. Au fil de ces deux années, je me suis demandé comment j’allais faire pour produire quelque chose de cohérent alors que d’un jour à l’autre mes humeurs, mes états d’esprit, mes personnalités et mes envies sont changeants. C’est finalement très récemment que le décor a commencé à se dresser.
JustMusic.fr : Qu’est-ce que cela te fait maintenant qu’il est sorti ? Et est-ce qu’il y a eu des retours qui t’ont particulièrement marquée ?
Naë : Je suis très superstitieuse donc j’ai plus tendance à intérioriser ce qui arrive plutôt qu’à le célébrer. J’ai quand même voulu marquer le coup avec les équipes, inviter tous les collaborateurs pour les remercier et être reconnaissante vis à vis d’eux. C’était important de le faire, mais sinon je suis pas très regardante des retours. C’est quelque chose qui me dépasse pour le moment. Je n’ai pas encore ce recul. Par contre pour les proches, je n’ai reçu que des retours positifs pour le moment et ceux qui m’ont le plus interpellée concernaient la qualité des prods. Ça m’a parlé car je me considère musicienne, avant d’être chanteuse ou avant d’être une image. J’ai beaucoup travaillé et je suis super contente d’être reconnue pour tout ce travail fait en amont.
JustMusic.fr : Comment arrives-tu à trouver l’équilibre entre la pratique de la chanson que tu maîtrises et la recherche d’un son plus moderne qu’on peut retrouver dans ta musique ?
Naë : Il y a forcément un moment donné dans le processus, surtout dans le passage de l’indé à la major, des parasites dans la création. Tu te dis que tu vas partir dans cette direction-là, parce que c’est ce qui se fait aujourd’hui et qui marche. Le problème c’est que cela t’empêche d’avoir un rapport pur à la musique et à la création. J’essaie de lâcher prise à ce niveau-là et de juste faire de la musique tel que je le ressens. Ce qui produit cet écart entre la chanson et le côté plus « urbain » est sans prétention ce que j’incarne quand je suis fidèle à moi-même. Je suis le fruit d’influences musicales old school par le biais de mes parents et plus actuelles par mon propre choix d’écoute. C’est ce qui selon moi se transmet par la musique.
JustMusic.fr : Ta musique dégage une ambiance intimiste et cozy. Comment arrives-tu à trouver cette justesse dans l’expression de tes sentiments ? Et par quels moyens essaies-tu de les transmettre aux auditeurs ?
Naë : Je pense que cela s’explique par l’expérience et sa dureté, les efforts qu’exister et vivre demandent, notamment à travers les aléas de la vie. L’expérience par sa dextérité m’a permis de me connaître de plus en plus et de mieux en mieux. J’ai eu aussi envie d’avoir des moments de solitude, d’être à l’écoute de moi-même et de mes émotions, mais aussi de les connaître et d’être à-même de les transmettre. Je pense que cette transmission ne peut être faite que si tu restes conscient. Je me connais beaucoup mieux qu’avant, je sais ce que j’ai envie de transmettre et à quel moment j’ai envie de le faire. Je peux facilement recevoir et donner au niveau émotionnel, ce qui est sûrement lié à mon hypersensibilité.
JustMusic.fr : Tu as beaucoup d’expérience quand on en vient à la scène. Comment t’y prépares-tu ? Et qu’est-ce qui dans la performance t’anime et te pousse à continuer à aller à la rencontre de ton public ?
Naë : La scène est l’endroit où je me sens le mieux. J’ai un côté très timide et un autre archi exubérant. Ce qui est cool avec la scène c’est que ces deux d’émotions paradoxales se confrontent. Je n’ai pas d’autre choix que de devoir faire le show et en même temps d’assumer ces moments de gêne et de timidité. Le fait d’embrasser cela me permet d’avoir un confort sur scène. Aussi, plus t’as de gens en face de toi plus les émotions sont décuplées. Tout se passe à l’instant T. Le live appartient au moment et il n’y a pas d’autre choix que de s’ancrer dans le moment, ce que j’ai du mal à faire au quotidien. C’est donc libérateur d’avoir des moments comme ça dans la vie. Cela me sert d’exutoire. En plus comme c’est du live, tu n’as pas à t’excuser. Tu le fais sans concession : t’as envie de crier, de sauter, de laisser des blancs entre deux morceaux, tu peux le faire. C’est un sentiment unique et j’ai beaucoup de chance d’avoir pu apprivoiser la scène depuis tout petite.
JustMusic.fr : Tu as collaboré avec Nekfeu. Quelle était ton état d’esprit quand l’opportunité s’est montrée ? Qu’est-ce que tu t’es dit intérieurement ?
Naë : J’ai vécu ça très sereinement car j’étais très concentrée. Je voulais être considérée en tant que musicienne et j’avais peur de ces amalgames relous dans l’industrie musicale sur les nanas dans le monde du rap. Mais dans ce cas, j’ai eu affaire à des gens humbles et aimables. Quand j’ai rencontré Nekfeu il m’a directement mise à l’aise. Je suis très croyante et j’avais foi en moi donc je me suis dit que si ça doit se faire ça se fera, et si ça ne se fait pas ça ne se fera pas. Je n’avais pas la certitude que le morceau allait sortir. J’ai vécu la chose intérieurement en essayant d’y mettre le moins d’attentes possibles. Il fallait garder le secret et faire que personne ne soit au courant. C’était lunaire, je n’avais pas l’impression que c’était réel. Le jour où c’est sorti j’étais fière de moi et reconnaissante. Ça m’a apporté une forme de pression positive et une véritable envie d’éclore.
JustMusic.fr : Est-ce que tu as des actus à venir que tu voudrais partager ?
Naë : J’ai deux actus qui arrivent prochainement. J’ai réécrit avec un de mes producteurs quatre morceaux de l’EP en live avec des cordes, des violonistes, etc… C’est une grande fierté pour moi. C’était un rêve de faire ça et je suis trop contente que ça sorte très prochainement. Je vais aussi partir sur les routes en première partie de Christophe Maé qui apparemment a flashé sur ma musique. J’ai accepté directement parce qu’il a l’air trop cool. Et surtout c’est une tournée des Zénith, donc cela va me permettre de présenter mon projet à plein de monde. J’y vais sans a priori, au contraire je suis très reconnaissante qu’une personne avec une telle carrière m’appelle pour faire ses premières parties. Mon envie actuelle est d’être le plus possible sur scène et de me présenter avant mon futur album sur lequel je travaille.
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Paul CORRADINO