Remixeur, freestyleur et kickeur reconnu dans le rap français, Black Kent revient cette année avec un nouvel album intitulé « Morceaux d’un homme » (disponible depuis le 08/01/16). Un juste mélange de tous ses talents et influences : Black Kent 2.0 est là. Découverte.
JustMusic.fr : Dans quel état d’esprit étais-tu quand tu as écrit ce nouvel album ?
Black Kent : J’étais en totale redécouverte de moi-même. Sans m’en rendre compte je suis passé par une étape très importante de ma vie; d’où le nom « Morceaux d’un homme ». Ce projet explique tous les passages par lesquels je suis passé pour devenir un homme, tel que je le définis aujourd’hui. Qui est conscient de ce qui est important, de ses responsabilités, je me suis retrouvé dans un entre deux. Raison pour laquelle je suis sur cette ligne blanche sur la pochette, avec d’un côté l’ancien Kent, l’ancien Franck et de l’autre tout ce nouvel univers ouvert par tout ce que j’ai vécu.
JustMusic.fr : On peut donc parler de renouveau ? D’une renaissance de l’artiste ?
Black Kent : On garde l’essence Black Kent : du kick, ma plume, mon feeling mais c’est beaucoup plus personnel que ce que j’ai fait avant. Je suis plus proche de mon public en tant que personne car je me livre plus. J’ai moins de tabou, moins peur de montrer, ce que j’aurais appelé avant mes faiblesses. J’ai naturellement baissé la garde, j’ai osé poser des questions sur la suite de ma carrière, de ma vie, de mes relations avec mon public, avec ma famille et de mon futur.
JustMusic.fr : L’album commence avec l’intro « 18 mars ». Un morceau où tu dis que tu as pensé à arrêter le rap. Pourquoi ? Et que s’est-il passé le 18 mars ?
Black Kent : Je vais commencer par la fin de la question, le 18 mars 2015, j’ai appris que j’allais être papa. C’est symbolique, cette date m’a permis d’être un homme. Ça allait en plein dans ma phase de changement, c’est le début d’une réelle prise de conscience. Je n’ai pas réellement pensé à arrêter le rap mais je me suis posé beaucoup des questions sur ma carrière. De plus, quand ta famille se pose aussi des questions, tu commences à douter, c’est humain. Tout ce changement a remis les choses en place et j’ai la chance d’avoir le soutien de mes proches et de ma famille. Je suis bel et bien là et encore présent pour un bon moment !
JustMusic.fr : Ton dernier projet, la mixtape « Kentessence vol.1 » remonte à 2014 mais on a l’impression que tu fais un vrai retour, comme si tu revenais après 10 ans d’inactivité. Tu dis dans l’intro : « Mme, M. il y a tellement de choses qui se sont passés depuis que l’on s’est laissé ». Le temps passe trop vite ?
Black Kent : Mon dernier album « Vendeur de rêves » remonte quand même à 2012, qui était mon premier album français d’ailleurs. Après j’ai sorti des mixtapes mais il y a moins d’exposition médiatique et le contenu est différent par rapport à un album. Ce qui fait que pour beaucoup de monde j’avais levé le pied alors que non. J’ai sorti deux tapes, j’ai fait des freestyles, des featurings, j’écris pour d’autres artistes donc je suis resté actif dans la musique. Mais j’avoue que même pour moi, quand je suis rentré en studio pour cet album j’ai senti que ça faisait un long moment que je n’avais pas raconté une histoire.
JustMusic.fr : Cette impression d’avoir laissé ta place vacante qu’a eu ton public, n’est-il pas dû aussi au nouveau mode de consommation de la musique ? Les artistes aujourd’hui sortent trois projets par an en plus d’apparitions diverses.
Black Kent : Oui forcément. C’est aussi dû à ça, à la musique « fast-food » ou les gens ne prennent plus le temps d’écouter, d’apprécier un album. Et les artistes rentrent dans cette obsession de la quantité. L’exemple type est le dernier album de Rihanna qui est sorti dans la nuit et où trois heures après il y avait déjà des critiques. Prenons le temps d’écouter.
JustMusic.fr :Qu’as-tu voulu dire par « Vendeur de rêves (référence à ton dernier album) est devenu homme » ?
Black Kent : C’est ce que je disais un peu avant, c’est tout ce cheminement, cette prise de conscience qu’elle soit artistique ou humaine. Je suis passé du gamin rêveur qui n’avait pas du tout les pieds sur terre, qui voulait tout bouffer, à ce même gamin toujours rêveur mais qui est conscient qu’il peut réaliser ses rêves avec ce qu’il a à côté de lui.
JustMusic.fr : Tu fais rapport à des événements qui se sont déroulés entre tes deux projets, comme le retour de Lino par exemple. Selon toi le rap c’était mieux avant ?
Black Kent : Non, d’ailleurs je dis dans le morceau « Comme avant » avec Singuila : « certains disent que le rap c’était mieux avant, moi je réponds que le rap c’était eux avant ». Tu as des personnages, des personnalités, de monuments du rap français qui sont encore actifs et qui font du bien au rap français. Lino et sa plume ont manqué. Lino symbolise la plume dans le rap français pour nous MC, on étudie ses tournures, sa technique. Ça n’a pas totalement recentré le débat mais ça a fait du bien. C’est le cas aussi pour certains de la nouvelle génération qui permettent de diversifier le hip-hop français.
JustMusic.fr : Justement tu as un morceau qui s’appelle« No trap just rap ». Quel est le message de ce titre ?
Black Kent : C’est un coup de gueule à un moment de la création de l’album, ou j’ai mis un peu mon nez dehors, où j’ai écouté ce qui se passait à la radio. Je me suis rendu compte que nous avions un trop-plein d’un certain style de hip-hop. Ça reste du hip-hop maintenant comme je le dis dans le morceau : « les bonnes doses font du bien ». Il ne faut pas que ce style efface toutes les richesses qu’il y a à côté et qui ont fait le rap français. En tant qu’amoureux de cette culture j’ai monté un peu la voix, comme l’a fait aussi Youssoupha. C’est une vague qui va repartir et qui s’essouffle déjà; le hip-hop est en constante mutation.
JustMusic.fr : Tu es un anti-trap donc ?
Black Kent : Pas du tout, j’en ai écouté, j’en écoute encore, c’est juste une affaire de trop plein. Tout le monde a prit le même wagon. Certains le font très bien d’autres non. C’est dommage de se forcer à suivre un courant qui n’est pas le sien.
JustMusic.fr : Tu as écrit un morceau sur la génération de futures femmes,« Petite fille ». C’est une critique de cette évolution ou un simple constat ? Et surtout Black Kent a-il écrit ce morceau avec son regard de papa ?
Black Kent : Ce qui est drôle c’est que quand j’ai écrit ce morceau je n’étais pas encore papa, c’est un titre né en 2013. Le hasard fait bien les choses ! (Sourire) C’est un simple constat de l’évolution de la société, tu ne peux rien faire contre ça. La seule action possible est de prévenir tes petites sœurs, petites cousines ou ta fille des pièges que la société actuelle peut lui tendre. Tout cela en espérant qu’elles écoutent. En faisant de la musique, comme « haut-parleurs de la société » je pense que c’est plus simple d’aborder ce thème, qu’en tant que parents ou grand frère.
JustMusic.fr : Autres morceaux de l’album, « Tel-Ho » dont le clip est disponible depuis un an, pourquoi avoir intégré ce titre sur l’album ?
Black Kent : Parce que musicalement c’est une prise de risques qui entrait dans la lignée des autres prises de risques qu’il y a dans l’album. En plus il y a eu des retours étonnants, positifs, sur ce morceau chanté. C’est un titre qui a fait partie de mon cheminement artistique donc je trouvais logique qu’il soit sur ce projet.
JustMusic.fr : On retrouve deux ambiguïtés dans l’album; un Black Kent dragueur qui à une certaine manière d’aborder la femme « Tel-Ho » et « Play » et une autre plus gentleman “Pour le pire et pour nous”. Où tu te places ?
Black Kent : Les deux morceaux « Tel-Ho » et « Play » ont été enregistrés il y a quelques temps, donc avec mon ancien état d’esprit. Le côté séducteur de Kent est toujours là, mais je suis aussi narrateur de ce que je vois autour de moi. Je vois quand mes gars sont en mode « players » ! Je tenais à les mettre car mon côté narrateur, conteur d’histoires fait aussi partie de moi. Je me livre plus certes, mais je raconte toujours ce qu’il se passe autour de moi.
JustMusic.fr : Autres oppositions dans cet album, c’est le mélange de rap classique, conscient, « We love black » ou encore « No trap just rap » et de titres taillés pour le rap game comme « Azeulai », par exemple . Comment gères-tu ces deux façons de faire et de voir le rap ?
Black Kent : C’est symbolique de l’artiste que je suis aujourd’hui, de la société dans laquelle je vis et du gamin dont tu prends le téléphone pour voir ce qu’il écoute. Tu te rends compte que quand c’est un gamin qui est censé écouter du rap, tu vas trouver dans sa playlist une diversité incroyable, c’est du 180° d’un titre à un autre. Ce serait cool que le public ait une loupe pour voir et comprendre par quelles phases leur artiste peut passer. Ça ferait tout drôle d’avoir l’avis d’un rappeur catalogué conscient sur un tube qui passe sur NRJ. On serait surpris je pense ! Ne pas explorer autres choses en tant qu’artiste ce serait se travestir pour moi, le tout est de savoir rester soi-même sans aller trop loin, sans devenir une caricature. Peu importe le costume que tu portes il faut savoir rester vrai.
JustMusic.fr : Tu fais part d’une certaine peur que ta carrière s’arrête dans le titre« Seras-tu là ? ». Tu te vois faire autre chose ?
Black Kent : Oui évidement. Après le monde de la musique est très vaste, ce qu’on peut voir à la télé ce n’est qu’une infime partie de l’iceberg. Il y a possibilité de rester dans la musique sans rester Black Kent l’artiste. Mais ce morceau est plus une interrogation sur la capacité de mon entourage à évoluer avec moi. A un moment donné tu peux déconnecter et avoir un autre statut et ne plus toucher terre. Je finis ce projet avec cette interrogation, en espérant avoir la réponse dans les prochains.
JustMusic.fr : Dans quelques textes tu fais référence à plusieurs rappeurs qui cartonnent actuellement, comme Black M ou Nekfeu. Tu dis : « ils refusent le match ». C’est-à-dire ?
Black Kent : Il n’y a aucune pique, ce sont juste des clins d’œil. C’est uniquement de la compétition gentillette. Si tu montes sur un ring c’est pour finir seul debout, sinon ça ne sert à rien d’enfiler les gants. C’est du sport, on est tous des MC, des compétiteurs. Bien évidement on aimerait tous que notre musique parle au plus grand nombre de personnes. Chacun a son moment, mais l’important reste d’être en paix avec soi-même. Je le suis. Après si tu m’apportes n’importe quel rappeur sur un micro je vais essayer de le croquer. C’est le jeu.
JustMusic.fr : Que peut-on te souhaiter pour la suite ?
Black Kent : Qu’il y ait de plus en plus de personnes qui me découvrent, moi et l’univers que j’essaie de créer. On peut me souhaiter aussi d’autres albums plus éclectiques, encore plus proche de mon public. Et aujourd’hui une longue vie à « Morceaux d’un homme ».
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Fabien BRIET