INTERVIEW : Rencontre avec Kerredine Soltani

C’est avec une grande générosité et beaucoup de sincérité que Kerredine Soltani a répondu à toutes nos questions. Nous vous conseillons d’écouter son nouvel EP « Héritier ».

JustMusic.fr : Tu viens de sortir un très bel EP « Héritier ». Il est composé de 7 titres où tu te livres énormément sur ta vie. Pourquoi as-tu eu envie de parler de tout ça ?

Kerredine Soltani : J’ai déjà sorti deux albums où j’utilisais beaucoup l’humour. Je m’en servais comme d’un imperméable qui me protégeait de quelque chose, d’une pudeur car j’avais du mal à dire certaines choses. À chaque fois que je raconte mon histoire, on me dit que j’ai vécu des moments durs et que ça ne se voit pas. C’est normal vu que je ne disais rien… Mais cette fois j’ai voulu faire des chansons dans lesquelles je ne me cachais pas et où je racontais ma vie.

JustMusic.fr : Tu dis dans « Nos rêves d’enfant » qu’il faut partir pour réaliser nos rêves d’enfant sans faire attention aux autres. Quels étaient tes rêves d’enfant et qu’as-tu fais pour les réaliser ? Les as-tu réalisés ?

Kerredine Soltani : Quand on est enfant on rêve d’être pompier et le lendemain d’être pilote. On veut surtout conduire en taille réelle les jouets qu’on a (sourire). Quand j’étais adolescent j’avais des rêves un peu étranges pour quelqu’un qui vient d’une cité. Je voulais être ingénieur en agriculture car j’avais un rapport idyllique avec la terre, vu que j’étais dans des tours sans espaces verts. J’étais même allé me renseigner dans un lycée agricole, mais j’ai pris peur car il fallait rester en internat. Je ne rêvais pas de devenir chanteur vu que pour moi je l’étais déjà (sourire). Comme je chantais j’étais chanteur… Être connu, être une star, être riche grâce à la musique… C’est autre chose.

JustMusic.fr : Pourquoi chantais-tu ?

Kerredine Soltani : Comme beaucoup d’artistes je suis timide et j’ai toujours exprimé mon ressenti à travers mon art. Dès l’âge de 8 ans j’écrivais des poèmes et vers 13/14 ans des chansons. C’était plus facile de raconter ce que je pensais avec des notes que de le dire à haute voix.

JustMusic.fr : Tu as « Le visage basané » et effectivement on ne peut pas changer sa tête car il faut s’adapter. Tu dis dans « Dans ma tête » que la patience a toujours payé. Qu’est-ce que tu n’as pas pu faire avec ton visage et quelle est la chose que tu as réussie à avoir en ayant patienté le plus ?

Kerredine Soltani : Avec mon visage, quand t’es jeune et que tu viens d’un quartier, on a tendance à dire que nos échecs sont liés au racisme. Mais à tord car on ne comprend pas… C’est facile de dire qu’une fille ne veut pas de moi car je suis le seul arabe dans la bande. En réalité tout est une question de style, car la même personne habillée différemment et parlant d’une autre façon matchera. Avant j’étais persuadé que tout était lié au racisme – car c’était le cas parfois – mais je me trompais. J’ai eu la chance de pouvoir faire les choses que je voulais et même quand j’ai été sans doute victime de discrimination je l’ai toujours bien vécu. J’ai une vie plutôt cool et apaisée, donc on peut m’insulter je le prends avec le sourire. J’ai une belle vie grâce à Dieu ! C’est la personne qui est face à moi et qui m’insulte qui se sent plus mal que moi (sourire).

JustMusic.fr : « Première ligne » évoque tes parents qui ne parlaient pas français, mais qui ont toujours fait en sorte que tu ne manques de rien car ils ont fait beaucoup de sacrifices. Comment était ton enfance ? Te rendais-tu compte de tous ces sacrifices ou l’as-tu compris plus tard ?

Kerredine Soltani : J’ai compris les sacrifices de mes parents beaucoup plus tard, surtout lorsque je suis devenu papa. J’ai une anecdote assez étrange à te raconter… Lorsque ma femme est venue manger chez ma mère, elle m’a fait remarquer des choses que je n’avais jamais remarquées. Nous étions à table, ma mère servait tout le monde et elle a commencé à manger quand les gens avaient terminé. Elle a également débarrassé la table et nous a emmené le dessert. Ma femme a trouvé que c’était étrange mais comme je n’ai connu que ça, ça ne l’était pas pour moi… Ma mère a toujours était comme ça donc c’était une normalité pour moi. Certains peuvent dire que je suis à l’ancienne, mais c’est juste que ça ne se passe pas partout de la même façon et qu’il faut qu’on me le fasse remarquer afin que je puisse m’adapter. Pour ma mère, c’était son bonheur de nous voir manger et de terminer après nous. Lorsque j’ai eu mes enfants je me suis rendu compte que je faisais la même chose (sourire). Je leur laissais les meilleures parts et je finissais après eux. Pour rigoler je leur disais de m’appeler « Poubelle de table » (rires). J’ai vécu mon enfance dans une cité et c’était vraiment merveilleux car j’étais entouré de mes copains, de ma famille et toujours avec les bons petits plats de ma maman (sourire). Mes parents étaient toujours présents et aujourd’hui c’est un luxe d’avoir ses parents réunis.

JustMusic.fr : « Sidi Valentin » est un duo avec ta femme Louise. Peux-tu me dire quelques mots sur cette collaboration ?

Kerredine Soltani : Je voulais faire une chanson pour ma femme que j’aime énormément. Il me fallait une voix féminine et je voulais qu’elle participe au morceau. Elle est plutôt pudique, pas chanteuse mais juriste donc elle trouvait que ce n’était pas sa place. J’ai insisté et au final il y a un très beau résultat. Souvent les gens me disent qu’ils préfèrent sa partie (sourire).

JustMusic.fr : Il y a une chanson qui s’appelle « Où sont les hommes ». Penses-tu qu’il n’y a plus d’exemples d’hommes avec de vraies valeurs aujourd’hui ?

Kerredine Soltani : Si, il y en a encore, mais beaucoup ont pour exemple leurs pères ou leurs grands-pères. Plus on remonte dans le temps et plus les valeurs diffèrent. La vie est un cycle, il y a des choses qu’on oublie et certaines qu’on va ressusciter. Il ne faut pas comparer les valeurs d’avant et celles d’aujourd’hui pour tout le monde, mais pour soi. Nous n’avons pas la même échelle de valeur et la même vision. J’ai souvent entendu des femmes qui ont eu leurs pères et grands-pères pour exemple et c’était leur normalité. Dans cette nouvelle génération certaines femmes sont abandonnées, ainsi que leurs enfants car certains pères considèrent qu’ils ne sont pas obligés d’être présents. Certaines se font insulter, frapper, voler dans la rue… et personne pour les aider. Les femmes ont hérité de plus de responsabilités qu’elles ne devraient avoir, surtout quand elles sont mères. Il faut vraiment s’aider quand on est en couple.

JustMusic.fr : Le titre « Héritier » est le dernier de l’EP. Tu dis que ton père t’a laissé son cœur en guise de testament. Tu ajoutes dans ton communiqué de presse que tu es rentier d’une éducation qui te rend riche, que tu as hérité de zéro euro mais d’un million d’amour. Présente-moi ce titre qui porte le nom de l’opus ?

Kerredine Soltani : Dès l’âge de 21 ans, je suis passé de la cité HLM où on fantasmait sur le vrai « Coca Cola » et pas le « Cola », à côtoyer des amis qui avaient des appartements dans le 16ème. J’aimais bien ces gens-là mais je n’avais pas les codes. J’étais timide et j’espérais avoir une histoire d’amour avec cette fille, mais à une soirée elle a préféré sortir avec un garçon moche, ivre, mais ses parents avaient une péniche aux pieds de la Tour Eiffel. Elle était là l’injustice, car j’avais beau être drôle et porter ma plus belle chemise de chez « Zara », on ne me regardait à peine… « L’homme à la péniche » avait le succès dont je rêvais et je me suis dit que la différence entre lui et moi, c’était qu’il était un héritier. Je n’ai pas hérité d’argent, mais d’amour et de valeurs.

JustMusic.fr : Quand tu écoutes ton EP que ressens-tu et qu’as-tu eu envie que le public ressente en l’écoutant ?

Kerredine Soltani : J’ai un sentiment agréable car je peux enfin dire les choses d’une manière brute et réelle. J’ai l’impression que c’est une biographie musicale, où je me raconte sans rien cacher et sans humour. J’aimerais que les gens se disent en l’écoutant : « Ah ouais… ah ouais… ».

JustMusic.fr : Est-ce que tu as la vie que tu imaginais petit ?

Kerredine Soltani : Pas du tout ! Je voyais la Tour Eiffel de ma cité mais elle était loin ! Je ne pensais pas qu’un jour j’habiterais devant… Quand je me baladais je passais devant les vitrines de gâteaux, mais « Le Nôtre » c’était « Le Vôtre » (rires). Je ne pensais pas que nous aussi on avait le droit à ces choses-là. Je voulais juste être avec ma famille et je me disais qu’un jour j’aurais aussi mon appart en HLM à Argenteuil. Je ne pensais pas que je serais avec une jolie française pure souche comme ils disent (sourire). Je ne vis pas une vie de rêve car je ne l’ai pas rêvée, ni d’espoir car je ne l’espérais pas. Pour moi, j’ai gratté un ticket et j’ai gagné à l’Euro Millions (sourire). Grâce à Dieu et à la patience car je le dis toujours c’est la patience qui paye, je n’ai jamais fauté, volé et triché. J’ai travaillé en patientant sans jamais faire de mal aux autres. Parfois c’était dur mais je ne le disais pas car j’avais la patience dans le cœur !

JustMusic.fr : Pour conclure, que dirais-tu au petit Kerredine que tu étais ?

Kerredine Soltani : Je lui dirais de se faire une belle coupe sur les photos de classe car ça n’allait pas du tout. Je crois que je me suis coiffé pour la première fois à l’âge de 15 ans… J’ajouterais qu’il faut toujours garder son humour (rires). Plus sérieusement je lui dirais : « T’inquiète on réussira ! » (sourire).

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