INTERVIEW : Rencontre avec Kyo

Kyo est de retour avec l’album « Ultraviolent », un disque intense, direct et d’une sincérité désarmante. Benoît Poher a une nouvelle fois accepté de répondre à nos questions lors d’une grande journée de promotion chez « Sony Music ».

JustMusic.fr : « Ultraviolent » résume l’époque autant que les relations humaines. C’est quoi selon toi, cette époque que vous décrivez ?

Ben (Kyo) : On a écrit ce disque sur, je dirais, trois ans. C’est donc le reflet des trois dernières années — comme à chaque album, en fait.
Comme souvent dans l’art, que ce soit la peinture ou la littérature, une œuvre est souvent une photo, une peinture d’un moment, d’une époque. Et c’est très vrai pour la musique aussi.
On se nourrit forcément de tout ce qui nous entoure : les liens affectifs, les choses très personnelles… Tout ce qui résonne chez les autres aussi.

Il y a toujours cette phrase de notre bassiste, Pierre, qui joue avec nous sur scène. Un jour, j’avais une page blanche — ce qui ne m’arrive pas souvent —, et il m’a dit : « Sonde profondément en toi, et ça deviendra universel. »

Ce n’est pas le premier à le dire, parce que j’ai vu que beaucoup d’artistes fonctionnent ainsi. Mais je pense que c’est très vrai.
Donc pour ce nouvel album, j’ai sondé sans me refréner tout ce que j’avais au fond de moi — même quand c’était très sombre. Tu l’as sûrement ressenti en écoutant l’album : c’est parfois dark, mais c’est authentique.

Et c’est toujours le moteur de ce qu’on fait : la sincérité et l’authenticité.
De toute façon, il ne faut pas travailler autrement, parce que le public le ressent.
Donc voilà : cet album, c’est ce qu’on a été, ce qu’on a vécu, ce qu’on a ressenti pendant trois ans.

JustMusic.fr : Tu chantes « la vie c’est ultraviolent » – est-ce une constatation désabusée ou une façon de rappeller qu’il faut encore aimer, malgré tout ?

Ben (Kyo) : C’est précisément les deux : l’époque est sombre. On est abreuvé de nouvelles pas très joyeuses, mais malgré tout, le monde reste beau.

Je pense que cette dualité-là, on la vit tous. On n’arrête pas de naviguer entre ces émotions contradictoires : la tristesse, l’émerveillement, la colère, la tendresse… Et malgré tout, on arrive toujours à s’émouvoir de choses magnifiques.

Mais je ne vais pas te mentir, c’est chaud d’avoir le moral ces dernières années — il faut s’accrocher.
Nous, on a la chance de pouvoir coucher tout ça sur un disque, et forcément, ça va mieux après.

J’espère surtout que ça fera du bien aux gens qui vont l’écouter, qu’ils se reconnaîtront dans certains propos, dans certaines mélodies.
C’est ça, le but d’un album : faire du bien aux gens.

JustMusic.fr : Dans un monde où tout va vite, où les émotions sont surexposées, comment rester sincère sans devenir cynique ?

Ben (Kyo) : Le cynisme, on peut l’exprimer en privé, souvent par le biais de l’humour. Nous, on passe notre temps à se marrer, parce que les journées sont longues en tournée : tu joues une heure et demie, deux heures, mais le reste du temps, t’as toute la journée devant toi.

Alors oui, on peut avoir un humour très sarcastique, un peu cynique parfois — ça désamorce le côté violent des choses.

Mais malgré tout, il faut toujours réussir à se focaliser sur ce qu’il y a de bien.
Ce n’est pas forcément naturel, c’est même un effort à faire, je pense. Un effort qu’on se doit de faire pour rester concentré sur les choses positives.
Sinon, on baisse les bras, on arrête tout, quoi.

JustMusic.fr : Tu as toujours dit les choses honnêtement, mais qu’est-ce qui t’empêche encore d’aller plus loin ?

Ben (Kyo) : Mes boss (rires)… je ne devrais pas, je suis un artiste donc forcément je me livre. Mais parfois, je me dis que mes gamins, un jour, ils vont écouter… et même le disque, c’est dead.

Parce que quand t’écoutes un morceau comme « Formidable », où je dis « Mes nuits sont blanches, mais elles sont noires parce que je ne m’en souviens pas », bon… je pense que ça veut dire ce que ça veut dire, tu vois.

J’ai moi-même traversé une période très sombre ces dernières années — à base de dépression et de trucs pas simples —, donc j’en sors à peine. C’est aussi important pour moi d’en parler, de le mettre dans mes textes.

Mais oui, c’est déjà « trop tard », dans le sens où c’est enregistré, c’est là. Et c’est vrai que je n’ai pas forcément envie que mes enfants entendent ça, mais voilà, c’est fait.
Au final, la seule chose qui pourrait m’empêcher d’y aller de façon totalement frontale, ce serait ça. Mais je ne le fais pas, parce que je veux rester sincère.

Je pense à un artiste phénoménal qui a marqué la musique au fer rouge : Eminem. Il a bâti son succès sur l’authenticité, mais aussi sur la provocation, évidemment.
Et lui, il ne s’est jamais demandé s’il choquait les gens ou s’il devait se censurer dans ses textes.
C’est vrai que quand je pense à sa fille, et à tout ce qu’il raconte sur sa famille, ça doit remuer quand même. Mais c’est aussi cette authenticité-là qui a fait son succès.

Donc je pense qu’il faut, malgré tout, essayer de rester authentique. Toujours.

JustMusic.fr : « Soleil noir », « Hostile », « Les amants »… tous évoquent une tension, un tiraillement. Est-ce que c’est ça « Ultraviolent » : un disque sur la dualité permanente ?

Ben (Kyo) : C’est exactement ça, c’est le reflet de ce qu’on est, de notre état d’esprit. On navigue sans cesse entre ces émotions contradictoires.

Et encore une fois, pour rebondir sur ce qu’on disait tout à l’heure, il ne faut pas oublier de voir ce qu’il y a de beau autour de nous.

C’est sûr qu’il y a cette dualité-là, mais l’art, ça sert aussi à ça.
Moi, quand je regarde un film qui va venir toucher des émotions très fortes, très profondes, je me mets à chialer devant mon écran… et ça me fait du bien.
C’est une des fonctions de l’art : pas seulement divertir, mais aussi remuer, bousculer, faire ressentir.

Je pense que c’est important, et c’est clairement ce qui nous motive dans notre façon de créer.

JustMusic.fr : Vous avez présenté « K17 », le premier extrait, en avant-première lors de votre concert à l’Accor Arena. Pourquoi ce choix, et quelle réaction du public vous a le plus marqué ce soir là ?

Ben (Kyo) : C’était au-delà de nos espérances. On avait effectivement envie de créer un momentum en annonçant la date de sortie de l’album.

On savait que les fans les plus fidèles allaient pleinement embrasser ce moment-là, mais c’est vrai que ça a été filmé, et honnêtement, je ne me lasse pas de revoir les regards des premiers rangs quand ils découvrent la pochette de l’album avec la date.

Il y a une émotion très, très forte à ce moment-là.
Le pari est réussi, parce que c’était exactement le but.

JustMusic.fr : « L’entre monde » clôture l’album. C’est une porte ouverte, une fin suspendue ?

Ben (Kyo) : C’est quand même très autobiographique. Il me reste juste un tout petit peu de pudeur, c’est-à-dire que tu peux avoir 90 % du texte qui est complètement autobiographique, mais je suis obligé de glisser 10 % de choses qui ne sont pas totalement moi — par pudeur, justement.

Pour éviter que les fans se disent : « Ah ok, sa vie, c’est ça », tu vois.
Mais oui, c’est très, très autobiographique.

Et la porte est ouverte — j’espère qu’elle le restera toujours — pour faire de nouveaux morceaux et de nouveaux albums. (sourire)

JustMusic.fr : « Formidable » est le seul featuring. Pourquoi avoir choisi MDNS, et qu’a-t-il apporté à votre univers ?

Ben (Kyo) : C’est un vrai coup de foudre, honnêtement. On est arrivés pour travailler avec lui sur une chanson, lors d’une session d’écriture en studio. On ne le connaissait pas encore, on l’a rencontré ce jour-là.

Je crois qu’il fait toujours partie d’un collectif qui s’appelle Train Fantôme. J’avais déjà vu des images de leurs concerts, et je l’avais repéré. Je l’appelle le gamin — il est terriblement plus jeune que nous (rires) — mais je m’étais déjà dit : « Il a un sacré charisme, quand même. »

Et en bossant avec lui, le feeling est tout de suite passé.
Le seul petit regret que j’ai, c’est que j’avais écrit trois couplets, dont j’étais super fier, mais mes camarades m’en ont enlevé un parce que c’était trop long… et le deuxième a sauté, parce que c’est lui qui fait son couplet ! (rires)

Le côté positif, c’est que j’ai deux couplets à recycler, que je trouvais cool et que je pourrai peut-être replacer dans une autre chanson, tu vois.

Mais sinon, on est fans du gars. On adore son énergie, on trouve ça hyper nouveau, hyper novateur. Il n’y a pas d’artiste comme lui, pas de style similaire.
Il a ce truc un peu punk, assez inédit en France — surtout en français.
Donc oui, c’est vraiment un coup de foudre artistique.

JustMusic.fr : Chez Kyo, l’amour n’a jamais été naïf. Sur cet album il semble plus lucide, presque dangereux. Vous voulez explorer sa face « ultraviolente » ?

Ben (Kyo) : De toute façon, c’est violent — même quand c’est beau. On le dit bien : tomber amoureux, tu tombes, tu te casses la gueule ; un coup de foudre, c’est un coup.

Alors forcément, tous les sens sont en ébullition, mais c’est violent, même quand c’est magnifique. Et quand ça se passe mal, c’est encore plus violent.

Moi, je suis — je mourrai — romantique, tu vois. C’est évident, je suis obligé de me l’admettre.
J’ai beau regarder du MMA, je reste un romantique (rires).

Donc c’est ma façon à moi de décrire les relations amoureuses. Ça a toujours été central, et ça le restera.
J’arrêterai jamais de faire des chansons d’amour.
Mais oui, parfois c’est dur… est-ce que c’est pas simplement le reflet de la réalité, au fond ?

JustMusic.fr : Vous parlez de « ruptures nécessaires ». Est-ce que l’amour, pour vous, demande des efforts ?

Ben (Kyo) : Oui, ça demande des efforts. Après, je pense que ça vaut le coup.

Mais bon… là, on va partir loin (sourire).
Quand tu te maries à l’église, tu jures fidélité. Et franchement, combien de couples le sont vraiment ?
Je ne connais pas les stats officielles — c’est impossible à mesurer — mais je pense que c’est chaud.
Dévouer l’intégralité de son existence à une seule personne, pour que ça marche, ça demande des efforts incommensurables. C’est des montagnes à gravir.

Passé le coup de foudre, passées les premières années, c’est là que tout commence, en fait.
Et puis tu vois, on dit souvent « l’amour rend aveugle ».
Moi, je ne suis pas d’accord avec ça.
Quand t’aimes quelqu’un, t’es pas aveugle : tu vois très bien ses défauts, mais au début, tu t’en fiches. Tu les trouves presque mignons.
Mais ensuite, quand la passion retombe un peu — parce qu’elle finit toujours par se transformer —, ça devient autre chose.
Quelque chose de plus mesuré, mais de tout aussi beau : le partenariat, le soutien, la fidélité dans le sens le plus profond du terme.
C’est ça, l’amour qui dure. C’est l’épaule sur laquelle tu peux t’appuyer, celle dont on a tous besoin.

Mais évidemment, ça demande des efforts, parce que maintenir un lien dans la durée, c’est compliqué.
Le moment où tu rencontres la personne, c’est un instant T.
Et ensuite, elle change, elle évolue.
Toi aussi.
Alors comment continuer à « se rencontrer » au fil du temps, quand on n’est plus tout à fait les mêmes ?

Ça passe par la communication, par l’empathie, par le fait d’essayer de se mettre à la place de l’autre.
Et ça, c’est presque impossible, en vrai : tu ne peux pas te mettre complètement dans la peau de quelqu’un.
T’as pas le même vécu, pas le même passif, pas la même famille, pas les mêmes névroses.
Et pourtant, il faut faire cet effort-là.
C’est, à mon sens, un véritable acte d’amour pur : se dire « je ne comprends pas tout, mais je te soutiens. »
Et ça, c’est pas facile.

JustMusic.fr : Vous avez toujours été un groupe de mélodies puissantes et de textes sensibles. Pensez-vous qu’ « Ultraviolent » est votre album le plus abouti émotionnellement ?

Ben (Kyo) : Forcément, on est obligés de penser comme ça. En tout cas, cet album est le plus représentatif de ce qu’on est aujourd’hui.

Et le prochain sera, forcément, le plus représentatif de ce qu’on sera, puisqu’on va l’écrire à ce moment-là.
Donc oui, je pense que celui-ci est plus abouti.

JustMusic.fr : Quand on a connu autant de succès, est-ce que chaque nouvel album est une renaissance ou une bataille ?

Ben (Kyo) : Alors, la bataille, elle dépend de ce que le public va en faire.
Il y a toujours cette peur de décevoir. Pas qu’on soit spécialement accro au succès, mais plutôt parce qu’on se dit : le jour où on n’arrivera plus à toucher les gens, ce sera dur à vivre.
Tu vois, tu te sentirais moins pertinent, moins utile.

On a reçu des millions de messages de gens qui nous ont dit : « Merci, vous m’avez fait du bien. J’ai vécu telle chose, je me suis reconnu dans tel texte, ça m’a aidé. »
Et certains témoignages vont très, très loin…
Tu ne sais jamais trop comment les prendre — tu regardes un peu tes pieds, t’es gêné —, mais quand tu te couches le soir, tu te dis : « C’est dingue, je ne pensais pas que ça aurait autant d’impact. »

Et une fois que tu prends la mesure de ton « utilité », il y a forcément une partie de toi qui se dit : « Le jour où je ne serai plus utile, à quoi je vais servir ? »
Alors oui, il n’y a pas que la musique dans la vie, tu peux faire d’autres choses, découvrir le monde, t’enrichir autrement… mais ce sentiment-là, il reste un peu conflictuel, un peu intérieur.

Et puis, la renaissance, elle est perpétuelle.
À chaque album, il y a une forme de renaissance : tu essaies de te réinventer, d’explorer, de grandir.
Donc oui… renaissance, je ne sais pas. Mais en tout cas, on grandit, c’est sûr.

JustMusic.fr : L’album sortira le 31 octobre, et tu participes également à un autre projet, Monte-Cristo, le spectacle musical. Peux-tu m’en dire un peu plus à ce sujet ?

Ben (Kyo) : Artiste : Ouais, ben ça, c’est un projet de très, très longue date. On l’a entamé il y a maintenant treize ou quatorze ans. On avait déjà écrit pas mal de chansons avec mon camarade Franklin Ferrand — qui, petite anecdote marrante, était à l’époque le chanteur du groupe rival du mien au lycée ! Et aujourd’hui, on écrit une comédie musicale ensemble, Monte-Cristo, lui et moi.

À l’époque, le projet n’avait pas abouti, notamment parce qu’on n’avait pas trouvé le Monte-Cristo, la personne capable d’endosser ce rôle à la hauteur de nos espérances.
Mais là, on a un casting hyper solide, composé de gens avec une vraie expérience de la comédie musicale. Certains ont d’ailleurs remporté plusieurs prix pour leurs performances, donc c’est très costaud.

On a énormément travaillé sur les chansons, avec Julien Mairesse et Alexandre Fraitrouni — deux pointures — donc l’équipe est vraiment folle. Et c’est super agréable de bosser avec des gens qui te tirent vers le haut.
Mine de rien, c’est un gros projet, une grosse équipe, donc forcément, ça met la pression.

Mais là, on touche à la fin. Tous les morceaux sont terminés, il me reste juste deux-trois bouts de texte à finaliser, et l’écriture sera bouclée. Après, ce sera la phase de promotion.

Malheureusement, on a une équipe « en face » qui monte aussi un Monte-Cristo (sourire). C’est un peu relou, forcément, mais bon, Calogero a eu la gentillesse d’abandonner son projet, donc on s’est dit : cool !
Et puis en même temps, il y a une partie de moi qui trouve ça plutôt marrant : j’ai toujours aimé cette idée de « dualisme », comme à l’époque entre les Beatles et les Stones.

On n’a jamais vraiment appartenu à une scène, à un courant précis, et j’ai toujours trouvé ça intéressant d’avoir une sorte de rivalité saine.
Là, avec Monte-Cristo, c’est un peu ça. Je dirais qu’on est les Oasis, et qu’eux, ce sont les Blur (rires).

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